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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/273

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Au retour des Bourbons, la cour eut un instant la velléité de s’attacher les gens de lettres, et notamment M. de Jouy, qui tenait une des premières places parmi eux. La chose était d’autant plus facile que M. de Jouy était un ancien royaliste, soldat de l’armée de Condé, si je ne me trompe ; ce n’était pas même une recrue à faire, c’était un ancien ami à réclamer. Ses articles dans la Gazette, signés « l’Ermite de la Chaussée d’Antin, » avaient un énorme succès. On fait venir M. de Jouy chez M. de Vitrolles, à ce que j’ai entendu dire dans le temps ; on lui demande ce qu’il désire. Ce qu’il désirait, c’était une chose due à ses services, la croix de Saint-Louis ; — en général, les honnêtes gens ne désirent que les choses auxquelles ils ont droit ; — désirant la croix de Saint-Louis, l’ayant méritée, il la demande. Alors, on veut lui faire des conditions ; on veut qu’il ne se contente pas de ne point frapper sur les ridicules de la Restauration ; on veut qu’il frappe sur les gloires de l’Empire. Pour qu’un loyal soldat, pour qu’un honnête homme, pour qu’un poëte considérable parmi ses confrères obtienne la croix, il faut qu’il fasse une mauvaise action. Qu’arrive-t-il ? c’est que le poëte considérable, c’est que le loyal soldat envoie promener la croix, et met à la porte celui qui venait la lui proposer à de pareilles conditions. C’est bien fait pour le ministre ; c’est mal fait pour la croix, qui n’eût pas honoré M. de Jouy, mais que M. de Jouy eût honorée ! Et voilà M. de Jouy dans l’opposition, voilà M. de Jouy faisant, dans la Biographie, des articles qui lui valent un mois de prison, et qui doublent sa popularité. Quels niais que ces gouvernements qui refusent à un homme la croix qu’il demande, et qui lui accordent la persécution qu’il ne demandait pas, persécution qui lui sera bien plus profitable, comme intérêt et comme gloire, que ce bout de ruban auquel personne n’eût fait attention ! Ce n’était pourtant pas bien méchant ce qu’écrivait M. de Jouy ! Non, au contraire ; ce qui distinguait M. de Jouy, c’était la douceur de sa critique, l’urbanité de son opposition, la politesse de sa colère. On a oublié certainement la manière de ce bon Ermite ; et même la génération qui nous suit ne l’a pas lu. Eh bien, si elle me lit, elle