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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/299

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

poëte bien autrement poëte que monsieur son frère, celui-là, quoiqu’il n’eût pas fait de tragédies.

Comment Marie-Joseph Chénier, qui avait à pleurer ce frère, eut-il le temps de soigner les répétitions de sa tragédie, aussitôt après thermidor ?

Ah ! c’est qu’André n’était que son frère, et que Timoléon était son enfant.

Mais la Némésis populaire était là, qui gardait au poëte oublieux une vengeance terrible.

Timoléon fait tuer son frère, et Chénier était accusé de n’avoir pas sauvé le sien.

On demanda l’auteur.

— C’est inutile, cria une voix du parterre, l’auteur se nomme Caïn !

À dater de ce jour, Chénier avait renoncé au théâtre, et cependant on parlait d’un Tibère et d’un Philippe II, qui devaient sortir, un jour, du portefeuille où ils étaient enfermés.

Après Chénier venait Ducis. Depuis la mort de Beaumarchais, — qui avait fait deux si charmantes comédies d’intrigue et trois si mauvais drames, — Ducis était le patriarche de la littérature.

Il y avait à Rome, sous tous les papes, jusqu’à Grégoire XVI, qui les a fait disparaître, des enseignes de chirurgiens sur lesquelles on lisait ces mots :

ici on perfectionne les petits garçons.

On savait ce que cela voulait dire : les parents qui désiraient des garçons sans barbe et avec une jolie voix conduisaient là leurs enfants, et, en un tour de main, ils étaient… perfectionnés.

Ducis fit à peu près, pour Sophocle et pour Shakspeare, ce que les chirurgiens de Rome faisaient pour les petits garçons.

Ceux qui aiment les mentons imberbes et les jolies voix peuvent préférer l’Œdipe-roi, l’Œdipe à Colone, l’Hamlet, le Macbeth, le Roméo et Juliette et l’Othello, de Ducis aux Œdipe de Sophocle, et à l’Hamlet, Macbeth, au Roméo et