Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/309

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
306
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Pardon ! il faut encore que je m’interrompe, ou plutôt que j’interrompe Geoffroy.

Le lecteur sait que c’était d’habitude à ce vers que l’on attendait les débutantes.

Pourquoi cela ? demandera le lecteur.

Ah ! c’est vrai, on ne sait ces choses-là que lorsqu’on est obligé de les savoir.

Je vais vous le dire.

Parce que ce vers est tout simple, et indigne de la tragédie.

Vous ne vous doutiez pas de cela, n’est-ce pas, monsieur, n’est-ce pas, madame, qui me faites l’honneur de causer avec moi ? Mais votre serviteur le sait, lui qui est obligé de tout lire, même Geoffroy.

Or, écoûtez bien, car nous ne sommes pas au bout. Ce vers étant, par sa simplicité, indigne de la tragédie, on attendait pour voir comment l’actrice, corrigeant le poète, parviendrait à relever ce vers.

Mademoiselle Georges ne voulut pas avoir plus de génie que Racine ; elle dit simplement, et avec l’intonation la plus naturelle possible, ce vers, écrit avec la simplicité de la passion. On murmura ; elle reprit avec le même accent ; on murmura encore.

Heureusement, Raucourt, malgré une entorse qu’elle s’était donnée, assistait à la représentation ; elle s’était fait porter au théâtre, et, d’une, des petites loges du manteau d’Arlequin, elle encouragea son élève.

— Ferme, Georgine ! cria-t-elle, ferme !

Et Georgine, — il vous semble singulier, n’est-ce pas, qu’il y ait eu un temps où l’on appelait mademoiselle Georges Georgine ? — et Georgine, avec le même accent simple et naturel, répéta le vers pour la troisième fois.

On applaudit.

À partir de ce moment, le succès fut enlevé, comme on dit en termes de théâtre.

« La seule chose qui nuisit à la représentation, dit Geoffroy, fut que Talma manqua d’intelligence, de mesure et de noblesse dans le rôle d’Achille. »