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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/35

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

On m’avait raconté l’histoire d’un lièvre à trois pattes, espèce d’animal enchanté que tous les chasseurs avaient vu, que tous les chasseurs connaissaient, que tous les chasseurs avaient tiré ; mais, après chaque coup de fusil, le drôle secouait ses oreilles, et n’en courait que mieux.

Ce lièvre était d’autant plus connu, je dirai presque d’autant plus populaire, qu’il était, à peu près, le seul sur tout le territoire.

Nous n’avions pas fait, le 1er septembre, un quart de lieu hors de la maison, qu’un lièvre me part. Je le mets en joue, je tire, il roule.

Mon chien me le rapporte : c’était le lièvre à trois pattes !

Les chasseurs de Dreux se réunirent pour me donner un grand dîner.

La mort de ce lièvre fantastique, et quelques coups doubles sur des perdrix rouges, me firent dans le département d’Eure-et-Loir une réputation qui dure encore aujourd’hui.

Cependant, tous ces honneurs rendus, quoiqu’ils touchassent à l’apothéose, ne purent me faire rester au delà du 15 septembre.

Les lettres d’Adèle étaient devenues de plus en plus rares.

Enfin elles avaient cessé tout à fait.

Le 15 septembre, je partis.

Par où ? comment ? Passai-je par Paris ? Je ne me souviens pas plus du retour que du départ.

Je me retrouve à Villers-Cotterects, en face de ces mots qui saluent mon arrivée :

— Tu sais qu’Adèle Dalvin se marie ?

— Non, je ne le savais pas, mais je m’en doutais, répondis-je.

Oh ! que les élégies de Parny sur l’inconstance d’Éléonore ; que les complaintes de Bertin sur l’infidélité d’Eucharis ; oh ! que tout cela, mon Dieu ! me parut fade, quand j’essayai de le relire avec une véritable blessure dans le cœur !

Hélas ! pauvre Adèle ! ce n’était pas un mariage d’amour qu’elle faisait : elle épousait un homme qui avait plus du