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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/76

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

avaient déposé leurs faux, les uns ci, les autres là, et déjeunaient auprès d’une petite rivière dans laquelle ils trempaient leur pain dur.

L’un d’eux avait déposé la sienne contre un de ces tas de bois carrés, hauts de deux pieds et demi à peu près, disposés par stère ou demi-stère.

Une bécassine me part ; Je la tire et la tue, et elle tombe derrière le tas de bois contre lequel est déposée la faux.

C’était la première pièce que je tuais de la journée, par conséquent celle que Pyrame avait l’habitude de gaspiller.

Aussi, avec une intelligence parfaite, à peine voit-il la bécassine, arrêtée dans son vol, tomber verticalement derrière le tas de bois, qu’il s’élance par-dessus ce tas de bois, pour tomber aussitôt qu’elle, et ne pas perdre de temps.

Comme je savais d’avance que c’était une pièce de gibier perdue, je ne me pressais pas trop d’aller entrevoir, dans les profondeurs du gosier de Pyrame, les plumes de la queue de ma bécassine, lorsque, à mon grand étonnement, je ne vois pas plus reparaître Pyrame que s’il fût tombé dans un gouffre invisible, creusé derrière le tas de bois.

Mon fusil rechargé, je me décidai à approfondir ce mystère.

Pyrame était retombé de l’autre côté du tas de bois, le cou sur la pointe de la faux ; cette pointe, entrée à la droite du pharynx, par la partie antérieure du cou, sortait de quatre pouces par la partie supérieure.

Le malheureux Pyrame n’osait bouger, et perdait tout son sang ; la bécassine, intacte, était à six pouces de son nez.

Nous le soulevâmes, Adolphe et moi, de manière à produire le moins de déchirement possible ; nous le portâmes à la rivière, nous le lavâmes à grand eau ; puis je lui fis une compresse avec mon mouchoir, plié en seize, compresse que nous assujettîmes, autour de son cou, avec le foulard d’Adolphe. Ensuite, voyant passer un paysan d’Haramont, conduisant un âne porteur de deux paniers, nous mîmes Pyrame dans un de ces paniers, et nous le fîmes transporter à Haramont, où, le lendemain, je le fis prendre dans une petite voiture.

Pyrame fut huit jours entre la vie et la mort. Pendant un