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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/82

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Il accepta. Je détachai Pyrame, et nous sortîmes.

Au bout de cinquante pas, Pyrame nous quitta pour suivre un boucher qui passait avec une moitié de mouton sur son épaule.

Je consigne ce fait qui, tout insignifiant qu’il paraît au premier abord, ne fut pas sans influence sur ma destinée. Car que serait-il arrivé de moi et de Bamps, si ce boucher, nommé Valtat, n’avait point passé, et si Pyrame ne l’avait pas suivi ?

Nous continuâmes notre chemin, sans nous occuper de Pyrame. À tout moment, l’homme coudoie un grand événement sans le voir et sans le sentir.

Nous fûmes bientôt arrivés. La maison de M. Harlay, devenue la nôtre, était située elle-même sur la place de la Fontaine, à deux cents pas, peut-être, de celle que nous habitions.

J’avais pris les clefs : j’ouvris les portes, et nous commençâmes par visiter l’intérieur de la maison.

Il n’était pas propre à inspirer une grande confiance : tout y avait vieilli avec le bonhomme qui venait d’y mourir, lequel se serait bien gardé d’y faire une seule réparation, attendu, disait-il, qu’elle durerait toujours bien autant que lui.

Elle avait duré autant que lui, c’était vrai ; mais, néanmoins, il était temps qu’il mourût.

S’il eût tardé seulement un an ou deux à prendre ce parti, c’était lui qui durait plus que la maison.

L’intérieur de notre pauvre propriété offrait donc l’aspect du plus triste abandon, du plus complet délabrement.

Les parquets étaient défoncés, les papiers déchirés, les carreaux cassés.

Bamps secouait la tête, et, dans son baragouin, moitié alsacien, moitié français :

— Z’êdre en pien maufais édat, disait-il. Ah ! mon Tieu ! mon Tieu !

Bien certainement j’eusse offert à Bamps la maison en échange de sa facture, qu’il n’en aurait pas voulu.

Quand la maison fut visitée :

— Allons voir le jardin maintenant, dis-je à Bamps.