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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/9

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

avait prêté ce lit pour mettre dans la chambre du duc de Berry.

C’est là que le prince apprit l’arrestation de son meurtrier. Il demanda son nom.

— Louis-Pierre Louvel, lui répondit-on.

Il parut chercher dans sa mémoire ; puis, comme interrogeant sa propre conscience :

— Je ne me rappelle pas, dit-il, avoir jamais rien fait à cet homme.

Non, prince, non, vous ne lui aviez rien fait ; mais vous portiez au front le sceau fatal qui pousse les Bourbons, les uns dans la tombe, les autres dans l’exil. Non, prince, vous ne lui aviez rien fait ; mais vous deviez régner, et c’est assez, chez nous, pour que le doigt de Dieu vous ait désigné à la douleur.

Voyez, prince, ce que sont devenus tous ceux qui, depuis soixante ans, ont touché cette couronne fatale, ou y ont aspiré :


Louis XVI, mort sur l’échafaud ;
Napoléon, mort à Sainte-Hélène ;
Le duc de Reichstadt, mort à Schœnbrünn ;
Charles X, mort à Frohsdorf ;
Louis-Philippe, mort à Claremont.

Et qui sait, prince, où mourra votre fils, le comte de Chambord ? où mourra son cousin, le comte de Paris ? C’est à vous que je le demande, à vous qui connaissez maintenant le secret de cette éternité dont les entrailles renferment tous les mystères de la vie, tous les secrets de la mort.

Mais ce que nous pouvons dire d’avance, prince, c’est que nul de votre race ne mourra aux Tuileries, et ne reposera comme roi dans les caveaux paternels.

C’était un bon et noble cœur, au milieu de ses emportements, que celui qui allait cesser de battre. Aussi, quand, à six heures du matin, Louis XVIII, prévenu de ce qui s’était passé, arriva pour recevoir le dernier soupir de son neveu, le premier mot du blessé fut-il :

— Sire, la grâce de l’homme !