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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/95

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Tout à coup, il s’arrêta, et je l’entendis regagner silencieusement son lit.

On eût dit qu’il venait de lui arriver quelque catastrophe dont il voulait dérober la connaissance à la société.

En effet, l’extrémité de son traversin opposée à celle qu’il tenait entre les mains venait de crever par la violence du coup, et toute la plume s’en était échappée.

Cette plume faisait montagne, juste à l’endroit où le drap qui protégeait ma tête faisait solution de continuité avec le traversin.

J’ignorais complètement l’événement.

Ne sentant plus frapper, ayant entendu mon dernier adversaire regagner son lit, je sortis doucement la tête, et, comme, depuis dix minutes, j’étouffais peu ou prou, selon que je serrais ou desserrais le drap, je respirai à pleins poumons.

J’avalai gros comme le bras de plumes.

La suffocation fut instantanée, presque complète. Je poussai un cri inarticulé, et, me sentant étrangler littéralement, je commençai à me rouler dans la chambre.

Mes compagnons crurent d’abord qu’à mon tour j’étais pris d’une fantaisie chorégraphique, comme ils avaient été pris d’une fantaisie guerrière ; mais ils entendirent enfin que les sons strangulés que je rendais portaient avec eux l’expression d’une vive douleur.

Gondon fut convaincu, le premier, qu’il se passait quelque chose de très-sérieux entre moi et un accident inconnu, avec lequel j’étais aux prises.

Félix, qui eût pu seul donner l’explication de mes culbutes et de mes sifflements, se tenait coi, et faisait semblant de dormir.

Gondon s’élança dans la cuisine, revint avec une chandelle, et éclaira la scène.

Je devais être d’un aspect fort grotesque, car, je dois le dire, l’éclat de rire fut universel.

En effet, si goulûment que j’eusse procédé, je n’avais pas avalé toute la plume et tout le duvet : une partie s’était atta-