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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 4.djvu/107

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Au mois d’octobre, Byron partit pour l’Italie, fit une halte à Milan, où il visita la bibliothèque Ambrosienne ; une autre à Vérone, où il visita le tombeau de Juliette ; puis il s’installa à Venise, ou il est passé à l’état de tradition.

Venise n’avait jamais possédé de chevaux, à part les quatre chevaux de bronze qui figurèrent pendant douze ans sur l’arc de triomphe du Carrousel.

Byron, qui ne sortait jamais à pied, fit le premier piaffer des chevaux vivants sur la place Saint-Marc, sur le quai des Esclavons, sur les bords de la Brenta.

Ce fut là que se développa le véritable roman de sa vie ; là, il vécut un instant entre trois amours qui représentaient les trois classes de la société vénitienne : Marguerite, Marianne et…

Hélas ! la plus infidèle des trois, celle que je ne nomme point, ce fut la grande dame.

Ce fut celle qu’il aima le plus peut-être, plus que miss Chaworth, plus que Caroline Lamb.

Cette femme, chose singulière ! est encore aujourd’hui, trente-trois ans après l’époque que nous citons, une charmante femme.

Je l’ai connue à Rome dans tout l’éclat de sa beauté, et, alors, elle était presque aussi merveilleuse à entendre qu’à regarder, à écouter qu’à voir.

Elle ne vivait, en réalité, que du souvenir du grand poëte qu’elle avait aimé. On eût dit que le temps qu’avait duré cet amour était la seule partie lumineuse de sa vie, et qu’en se retournant, elle dédaignait de regarder dans l’obscurité du reste de son existence.

Alors, si j’eusse parlé d’elle, je l’eusse nommée ; alors, j’eusse raconté nos promenades, au clair de la lune, au Forum et au Colisée ; j’eusse répété ce qu’elle me disait à l’ombre de ces ruines immenses, où elle ne savait parler que de l’illustre mort qui avait foulé avec elle les mêmes pierres que nous foulions, qui, avec elle, s’était assis où nous étions assis.

Oh ! madame ! madame ! pourquoi avez-vous été infidèle au