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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 4.djvu/185

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

sait pleuvoir en cascade d’une main dans l’autre ; celles qui, échappant au flot direct de la cataracte, tombaient à terre étaient pour l’enfant gâtée, qui les ramassait. Souvent encore, Potemkine s’endormait sur un canapé, sur un divan, sur un sofa, pour dormir, il étendait son bras sur un coussin ; puis, en dormant, sa main s’ouvrait et laissait échapper une poignée de pierres qu’en se réveillant, il ne pensait pas à reprendre. Sa nièce savait cela, et, soit pendant son sommeil, soit après son réveil, elle soulevait le coussin et s’emparait du trésor.

Qu’importait à Potemkine ! n’avait-il pas ses poches pleines d’autres pierres ? puis, quand ses poches étaient vides, n’en avait-il point de pleins barils, comme ces souverains de Samarcande, de Bagdad et de Bassora dont parlent les Mille et une Nuits ?

Au reste, c’était une singulière femme que madame Braniska ; avec ses soixante ou cent millions, il lui prenait parfois des accès d’avarice entremêlés d’accès de générosité, bien étonnés de se trouver ensemble. Ainsi, elle envoyait à son fils, qui habitait Moscou ou Pétersbourg, cinq cent mille francs pour ses étrennes, et elle ajoutait en post-scriptum à la lettre d’envoi :

« Je suis horriblement enrhumée ; envoie-moi du jujube, mais attends une occasion ; les ports de Moscou à Odessa sont ruineux ! »

Catherine faillit mourir de la mort de Potemkine ; tout semblait être commun entre ces grands cœurs, même la vie ; elle s’évanouit trois fois à la fatale nouvelle, le pleura longtemps et le regretta toujours.

Paul-Pétrovitch, auquel elle avait conservé la couronne en l’enlevant à Pierre III, avait mis au monde cette riche postérité dont j’avais vu un échantillon dans le kibitz conduit par le grand-duc Michel, plus l’empereur régnant aujourd’hui.

Mais, à cette époque, on ne se doutait point qu’il dût régner jamais. Au milieu de cette belle et nombreuse descendance, les yeux de Catherine s’étaient particulièrement fixés sur les