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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 4.djvu/194

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

l’après-midi, qu’Alexandre put écrire à l’impératrice, sa mère, pour prendre congé d’elle.

Il était quatre heures de l’après-midi. Tout à coup, le jour s’obscurcit, voilé par un immense nuage.

L’empereur appelle son valet de chambre.

— Fœdor, lui dit-il, des lumières.

Le valet de chambre apporta quatre bougies.

Pendant que l’empereur écrivait, le nuage se dissipa, et le jour reparut.

Le valet de chambre rentra aussitôt.

— Sire, demanda-t-il, dois-je emporter les lumières ?

— Pourquoi cela ? demanda l’empereur.

— Parce que, chez nous, sire, on regarde comme chose de mauvais présage d’écrire à la lumière tandis qu’il fait jour.

— Que conclus-tu de cela ?

— Moi ?… Je ne conclus pas, sire.

— Oui ; mais, moi, je comprends : tu penses que les passants, en voyant ici de la lumière, croiront qu’il y a un mort.

— Justement, sire.

— Eh bien, emporte les bougies.

L’empereur ne parut pas faire attention à la remarque de son valet de chambre, mais elle lui resta dans l’esprit.

Le 13, il partit, comme nous avons dit, de Pétersbourg à quatre heures du matin. Il sortait de la ville juste au moment où le soleil se levait.

Alors, il fit arrêter sa voiture, s’y tint debout, regardant cette ville du czar Pierre avec une profonde tristesse, et comme s’il eût été averti par une voix intérieure qu’il la voyait pour la dernière fois.

La nuit précédente, l’empereur l’avait passée en prière, tant dans le couvent de Saint-Alexandre Nevsky que dans la cathédrale de Kasan. Dans le monastère, il s’était entretenu près d’une heure avec les religieux, et entre autres avec le métropolitain Séraphin. Celui-ci raconta à l’empereur qu’un religieux de son couvent venait volontairement de se soumettre à un genre de vie de la plus scrupuleuse austérité en s’enfermant dans un caveau pratiqué dans l’épaisseur du mur du