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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 4.djvu/205

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

agitation, marquaient la mesure, et que sa voix gutturale jetait, de temps en temps, entre ses commandements âcrement accentués, des cris rauques et saccadés qui n’avaient rien d’humain, et qui exprimaient alternativement, ou sa satisfaction, si tout se passait à son gré, ou sa colère, s’il arrivait quelque chose de contraire à la discipline. Au reste, sa bonne humeur était sauvage et sa colère terrible. — Dans sa bonne humeur, il se courbait en éclats de rire, se frottait bruyamment et joyeusement les mains, frappait alternativement la terre de ses deux pieds ; puis, s’il apercevait un enfant, il courait à lui, le tournait, le retournait de tous côtés, comme ferait un singe d’une poupée ; il se faisait embrasser par cet enfant, lui pinçait les joues, lui pinçait le nez, et, en suite, le renvoyait en lui mettant dans la main la première pièce d’or ou d’argent qu’il tirait de sa poche. — Dans sa colère, il rugissait, frappait le soldat qui avait manqué à la manœuvre, le poussait lui-même du côté de la prison, criant ou plutôt hurlant encore après que l’objet de sa fureur avait disparu. Au reste, cette sévérité s’étendait à tous, aux animaux comme aux hommes. Un jour, il fit pendre un singe qui faisait trop de bruit ; un cheval qui avait fait un faux pas, tandis que, dans un moment de confiance, il lui avait abandonné la bride, reçut mille coups de bâton ; enfin, un chien qui, la nuit, l’avait réveillé en hurlant, fut fusillé le lendemain matin.

Puis, entre ses moments de colère et ses moments de joie, il avait ses heures d’abattement. Alors, il tombait dans une mélancolie profonde ; puis, dans une prostration complète. Faible comme une femme, en proie à spasmes nerveux, il se couchait sur ses divans ou se roulait sur ses tapis ; à ces heures-là, personne, même parmi ses favoris, n’osait plus l’approcher. Seulement, le dernier valet qui sortait de sa chambre ouvrait toutes grandes les fenêtres et la porte, et une femme blonde et pâle, vêtue presque toujours d’une robe blanche et d’une ceinture bleue, paraissait sur le seuil, triste comme une apparition, et, comme une apparition, souriant au milieu de sa tristesse. À cette vue, qui avait sur lui