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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 4.djvu/265

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Vous voulez donc absolument faire de la littérature ?

— Oui, monsieur, et par vocation et par nécessité, je le veux.

— Eh bien, faites de la littérature comme Casimir Delavigne, et, au lieu de vous blâmer, nous vous encouragerons.

— Monsieur, répondis-je, je n’ai point l’âge de M. Casimir Delavigne, poète lauréat de 1811 : je n’ai pas reçu l’éducation de M. Casimir Delavigne, qui a été élevé dans un des meilleurs collèges de Paris. Non, j’ai vingt-deux ans ; mon éducation, je la fais tous les jours, aux dépens de ma santé peut-être, car tout ce que j’apprends, — et j’apprends beaucoup de choses, je vous jure, — je l’apprends aux heures où les autres s’amusent ou dorment. Je ne puis donc faire dans ce moment-ci ce que fait M. Casimir Delavigne. Mais, enfin, M. Oudard, écoutez bien ce que je vais vous dire, dût ce que je vais vous dire vous paraître bien étrange ; si je croyais ne pas faire dans l’avenir autre chose que ce que fait M. Casimir Delavigne, eh bien, monsieur, j’irais au-devant de vos désirs et de ceux de M. de Broval, et, à l’instant même, je vous offrirais la promesse sacrée, le serment solennel de ne plus faire de littérature.

Oudard me regarda avec des yeux atones ; mon orgueil venait de le foudroyer.

Je le saluai et je sortis.

Cinq minutes après, il descendait chez M. Deviolaine pour lui raconter à quel acte de démence je venais de me livrer.

M. Deviolaine lui demanda si c’était bien devant lui, si c’était bien à lui que j’avais dit une pareille énormité.

— C’est devant moi, c’est à moi, dit Oudard.

— Je préviendrai sa mère, dit M. Deviolaine, et, s’il continue à être possédé de cette fièvre, envoyez-le-moi, je le prendrai dans mes bureaux, et je veillerai à ce qu’il ne devienne pas tout à fait fou.

En effet, le soir même, ma mère fut prévenue. En revenant du portefeuille, je la trouvai tout en larmes.

M. Deviolaine l’avait envoyé chercher, et l’avait avertie de ce qui s’était passé, le matin, entre Oudard et moi.

Le lendemain, le blasphème dont je m’étais rendu coupable