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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 4.djvu/27

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

tique de Lafond, qui, à l’époque où nous sommes arrivés, n’étant guère soutenu que par quelques vieux amateurs de l’école de Larive, ne faisait plus recette, même dans les chevaliers français.

C’était, d’ailleurs, un homme singulier que Lafond. Grâce à son accent gascon, et à la manière dont il disait les choses, on ne savait jamais s’il avait dit une bêtise ou un mot spirituel.

Un jour, il entre au foyer du Théâtre-Français au moment où Colson, artiste médiocre et parfois sifflé, lâchons le mot, faisait sa charge. Colson s’arrête ; mais il était trop tard : Lafond s’était entendu parler du corridor.

Il s’avance droit vers Colson.

— Eh ! Colson, mon ami, lui dit-il avec cet accent bordelais dont ceux-là seuls qui l’ont entendu et apprécié peuvent se faire une idée ; on me dit que tu fais ma charge ?

— Oh ! monsieur Lafond, répond Colson en cherchant à se remettre, votre charge ?… Non, je vous jure !…

— Si fait ! si fait ! on me le dit… Voyons, Colson, fais-moi un plaisir.

— Lequel, monsieur Lafond ?

— Fais ma charge devant moi.

— Oh ! monsieur Lafond…

— Je t’en prie ; je te serai obligé, même.

— Dame ! fit Colson, si vous le voulez absolument…

— Eh ! oui, je le veux !

Colson cède et commence la tirade d’Orosmane :

Vertueuse Zaïre, avant que l’hyménée…


et la dit, depuis le premier jusqu’au dernier vers, avec une telle fidélité d’imitation, qu’on eût cru entendre Lafond lui-même.

Lafond l’écoute jusqu’au bout avec la plus grande attention, dandinant la tête de haut en bas, et donnant des signes fréquents et manifestes d’approbation.

Puis, quand Colson eut fini :