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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 4.djvu/288

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

nous resterions là jusqu’au lendemain matin. Au jour, on enverrait chercher le commissaire de police, qui séparerait le bon grain de l’ivraie.

Nous voulûmes nous expliquer. Nous demandâmes que l’on fît un examen sérieux de nos personnes, de nos mines, de nos figures, qu’on les comparât à celles de l’homme que j’avais arrêté, et qu’on n’attendit point au lendemain pour nous rendre la justice qui nous était due. Mais, à cela, les défenseurs de la patrie répondirent imperturbablement que, la nuit, tout chat était gris ; que, par conséquent, on pouvait se tromper, tandis que, le lendemain, il ferait jour.

La décision n’était ni logique ni éloquente ; mais nous n’étions pas les plus forts. On nous fit entrer, voleurs et volés, dans cette partie du corps de garde qu’on appelle le violon, et force nous fut d’attendre le bon plaisir de M. le chef du poste.

Chacun de nous s’accota, ainsi qu’on fait dans une voiture, et essaya de dormir.

Comme Adèle et son mari avaient pris pour eux deux un coin du lit de camp, il m’en resta un.

Je regardai longtemps avec tristesse cette femme, premier souvenir de ma vie, qui s’endormait peu à peu sur l’épaule d’un autre, qui tutoyait cet autre ; et qui paraissait parfaitement heureuse.

Elle avait deux enfants : la mère avait consolé l’amante.

Eux dormirent. Le voleur et moi, nous ne dormîmes point.

Bientôt mes yeux se détachèrent d’Adèle et de son mari. Puis ma pensée revint sur ses pas, et reprit mon rêve où je l’avais abandonné. Je vis, avec les yeux du souvenir, le bas-relief de mademoiselle de Fauveau incrusté dans la muraille, et, dans ce corps de garde du boulevard Bonne-Nouvelle, à côté de cette femme et de son mari, en face de ce voleur que les prochaines assises devaient condamner à trois ans de prison, mon imagination créa les premières scènes de Christine.

À huit heures du matin, le commissaire entra.

Il reçut nos dépositions, puis nos adresses, et nous mit en liberté.