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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 4.djvu/301

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Est-ce que monsieur règle son compte ? demande Changeur.

— Non pas, mon ami.

— Que dois-je faire, alors, du billet de cinq cents francs ?

— Prends, d’abord, la mesure de monsieur.

Changeur regarde tout ébahi le baron de B***.

— Oui, dit Morrisel, et, quand tu auras pris sa mesure, tu t’en iras aux pompes funèbres.

— Aux pompes funèbres ?…

— Oui, Changeur, et tu y commanderas, en mon nom, — au nom du colonel Morrisel, tu entends bien ? — un convoi de première classe pour M. le baron de B***. Tu entends, de première classe ! — je sais que c’est davantage ; mais les cinq cents francs ne sont qu’un à-compte ; — ce qu’il y a de mieux en convois, tu comprends, Changeur ?

M. le baron de B*** voulut prendre la chose en riant.

— Monsieur, dit-il, il me semble que vous auriez bien pu laisser à ma famille le soin de ces détails.

— Non pas, monsieur le baron ; votre famille est ruinée, à ce que l’on dit ; elle pourrait bien faire mesquinement les choses. M. le baron de B***, enterré avec un corbillard de seconde, ou un drap de troisième classe, fi ! J’ai tué vingt-deux hommes en duel dans ma vie, monsieur le baron, et j’ai toujours fait les frais de leur enterrement. Rapportez-vous-en à moi, vous serez enterré noblement. Je veux qu’en voyant passer votre convoi, ceux qui ne vous connaissaient pas, disent : « Oh ! oh ! qu’est-ce que ce magnifique enterrement ? » Alors, comme il passera sur le boulevard, Changeur répondra : « C’est celui de M. le baron de B***, le fameux duelliste, vous savez. Il avait cherché brutalement querelle à un jeune homme qui ne pouvait se défendre ; le colonel Morrisel était là ; il a pris fait et cause pour le jeune homme, et a tué, ma foi, le baron de B*** du premier coup ! » Ce sera d’un bon exemple pour les impertinents et les duellistes… Au revoir, monsieur le baron de B***, à demain ; vous savez mon adresse, envoyez-moi vos témoins ; vous avez le choix des armes.

Puis, se retournant vers le garçon :