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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 4.djvu/59

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

arbre pour en cueillir les fruits, et qui ne peuvent qu’au risque de se rompre le cou, — chose qu’ils sont assez sages pour ne point tenter, — atteindre ceux qui mûrissent sur les branches les plus élevées, et qui sont toujours les plus beaux parce qu’ils sont le plus près du ciel.

Nous rendrons la chose sensible par deux exemples : Marino Faliero, les Enfants d’Édouard.

Dans le Marino Faliero de Byron, le doge conspire pour se venger de cette jeunesse railleuse qui lui a fait l’injure d’écrire sur son fauteuil :

« Le doge tient la belle Angiolina pour femme, mais un autre l’a pour maîtresse. »

Et c’est une calomnie : la belle Angiolina est pure comme l’indique son nom, malgré ses dix-huit ans, à elle, et malgré les quatre-vingts ans de son mari.

C’est donc pour défendre une femme pure, et non pour venger son honneur de mari outragé, que le Marino Faliero de Byron conspire, et nous n’avons pas besoin de dire ce que la pièce gagne en distinction à être traversée par cette douce et lumineuse figure qui représente le dévouement, au lieu d’exprimer le repentir.

Or, dans l’imitation de Casimir Delavigne, tout au contraire, la femme est coupable. Héléna, — car le poète, en la vulgarisant, n’a point osé lui conserver son nom céleste, — Héléna, trompe son mari, un vieillard ! elle le trompe, ou plutôt elle l’a trompé, dès avant le lever du rideau. Le premier vers de la tragédie s’adresse à une écharpe qu’elle brode pour son amant, double faute à notre avis ; car il n’y avait qu’un moyen de rendre Héléna intéressante, si on la faisait coupable, c’était de montrer en elle, la lutte de la passion contre la vertu, de l’amour contre le devoir ; c’était, enfin, de faire, en réussissant mieux que nous, ce que nous avons fait dans Antony.

Mais mieux valait, nous le répétons, comme dans la tragédie de Byron, conserver la femme pure ; mieux valait faire côtoyer le vieillard par une épouse fidèle que par une épouse adultère ; mieux valait, quand la femme vient, au cinquième acte, trouver le mari, ouvrir la porte du cachot au dévouement