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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 4.djvu/80

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

par estafette, à M. le duc d’Orléans, ses journaux du soir et son courrier de la journée, et à recevoir, en retour, les ordres du lendemain.

C’était deux heures perdues par soirée ; c’était, en outre, l’impossibilité d’aller à aucun spectacle, excepté au Théâtre-Français, qui touchait à nos bureaux.

Il est juste de dire que M. Oudard, qui avait, chaque jour la disposition de trois billets à toutes places, nous gratifiait, de temps en temps, d’un de ces billets.

Mais cette générosité ne se manifestait guère que les jours où il y avait mauvais spectacle.

Cependant, entendons-nous sur le mot « mauvais spectacle ; » on entendait par là les jours où ne jouaient ni Talma ni mademoiselle Mars.

Il en résultait que, pour moi qui allais au spectacle comme étude, il y avait parfois un excellent spectacle, ces jours de mauvais spectacle.

D’ailleurs, nous nous entendions avec Ernest pour faire chacun notre semaine ; de cette manière, nous avions, par mois, quinze soirées libres.

J’avais fait la connaissance d’un jeune docteur, nommé Thibaut, docteur sans clientèle, à cette époque, mais non pas sans mérite.

Une cure fit sa réputation, une autre sa fortune.

Aidé d’un rhumatisme articulaire qui détourna l’inflammation, il guérit Félix Deviolaine — ce jeune cousin dont j’ai plus d’une fois parlé, et dont j’aurai à parler encore, — d’une maladie de poitrine arrivée à son troisième degré.

Aidé de sa propre science, il accompagna madame la marquise de Lagrange en Italie, et la guérit d’une maladie chronique tenue pour mortelle.

Reconnaissante et revenue en parfaite santé, la marquise l’épousa.

Tous deux, aujourd’hui, habitent leurs terres près de Gros-Bois ; et, directeur d’une fortune de quarante à cinquante mille livres de rente, Thibaut n’applique plus la science médicale qu’à l’amélioration des fleurs et des fruits.