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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 4.djvu/86

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Au moment de sa naissance, l’enfant prédestiné eut le pied disloqué sans que l’on s’en aperçût. Cet accident le rendit boiteux.

Nous verrons l’influence que cette infirmité eut sur sa vie.

Quatre hommes célèbres, au reste, ont enjambé, boiteux, le passage qui sépare le xviiie du xixe siècle : Le maréchal Soult, M. de Talleyrand, Walter Scott et lord Byron.

Une femme a écrit :

« Byron eût donné la moitié de sa gloire pour pouvoir dire de ses pieds ce qu’il disait de ses mains. »

Le paon, l’oiseau de Junon, oubliant son riche plumage, jette, assure-t-on, un cri de douleur chaque fois qu’il regarde ses pieds.

Byron, qui avait bien quelque chose du paon, n’était pas plus philosophe, roi des poëtes, que ne l’est le roi des oiseaux.

— Que voilà un charmant enfant ! disait une personne qui regardait Byron âgé de trois ans, tenant un fouet, et jouant aux genoux de sa nourrice ; mais quel malheur qu’il soit estropié !

L’enfant se redressa, leva son fouet, et, en frappant cette personne aussi vigoureusement qu’il put :

— Ne parle pas de cela ! dit-il.

Lady Byron, qui ne comprenait pas l’orgueil de son enfant, — chose singulière ! Byron fut incompris des deux êtres qui, lorsqu’ils comprennent l’homme, répandent le bonheur sur sa vie : de sa mère et de sa femme ; — lady Byron, disons-nous, qui ne comprenait pas l’orgueil de son enfant, l’appelait mon petit boiteux.

Byron entra à l’école d’Aberdeen à cinq ans. On payait pour lui cinq schellings par trimestre. — Je n’eusse pas cru qu’un enfant eût été élevé à meilleur marché que moi ; je me trompais. Salut, Byron ! accepte-moi pour frère, en pauvreté du moins.

Pendant un an que le futur poëte passa dans cette école, ce