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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/16

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Cette dernière offre nous fit grand plaisir. Qu’on ne s’y trompe pas ! nous en étions à apprécier, comme économie, un dîner pris hors de chez nous.

M. Lethiére était à la fois un beau talent, un bon cœur et un charmant esprit. Il avait, alors, près de lui, comme, âme de la maison, une jeune femme blonde, grande, mince, presque toujours vêtue de noir, qu’on appelait mademoiselle d’Hervilly, et qui, sous ce nom, a fait de la peinture et de la littérature ; qu’on a appelée depuis madame Hannemann, et qui, sous ce nom, a fait de la médecine. C’était un esprit froid, un cœur sec, mais une volonté arrêtée.

Je crois madame veuve Hannemann aujourd’hui fort riche.

Cette personne, fort supérieure du reste, faisait les honneurs de la maison aux vieux amis de M. Lethière dont quelques-uns avaient été les amis de mon père.

Ces vieux amis étaient : M. Gohier, l’ancien président du Directoire ; Andrieux, Desgenettes, un peintre nommé Renaud, et quelques autres.

Desgenettes, qui avait beaucoup connu mon père en Égypte, me prit tout d’un coup en grande amitié, et, de son côté, me fit connaître Larrey.

J’aurai plusieurs fois occasion de parler de ce dernier et de son fils, un de mes bons amis, auquel le siège d’Anvers fut une glorieuse occasion de prouver, en 1832, qu’il était bien le fils de son père.

De tous ces hommes, le plus remarquable pour moi était Gohier. Contre les lois de la perspective, certaines personnes médiocres, mais qui, portées par des circonstances suprêmes, ont occupé de hautes positions, grandissent en s’éloignant. Or, il m’était impossible de ne pas voir un homme remarquable dans l’homme qui avait présidé Barras, Roger-Ducos, Moulin, Sieyès, et qui avait, par conséquent, été un instant le premier des cinq rois qui avaient gouverné la France. Je me trompais : M. Gohier était un brave et digne homme qui savait de l’histoire ce qu’on ne peut se dispenser d’en apprendre, qui n’avait aucune vue politique, aucune profondeur de jugement.