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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/21

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

C’était donc, non-seulement l’œuvre dramatique, mais encore l’éducation dramatique que je menais à sa fin.

Je me trompe, l’œuvre est terminée un jour ; l’éducation jamais !

Mon œuvre allait être terminée, quand, au bout de deux mois de tranquillité et d’encouragement dans mes pauvres archives, je reçus du secrétariat l’avis que, ma place étant une sinécure, ou à peu près, elle était supprimée, et que j’eusse à me tenir prêt à passer dans les bureaux forestiers, c’est-à-dire chez M. Deviolaine.

Cet orage dont j’étais menacé depuis si longtemps éclatait donc enfin sur ma tête.

Je pris congé les larmes aux yeux du petit papa Bichet, et de ses deux amis MM. Pieyre et Parseval de Grandmaison, qui promirent de me suivre de leur sympathie partout où je serais.

Le lecteur connaît M. Deviolaine. Depuis cinq ans que j’étais dans l’administration, on en faisait mon épouvantail. J’entrai donc dans ma nouvelle famille bureaucratique sous de mauvais auspices.

La lutte commença au moment même de l’entrée.

On avait voulu me colloquer dans une immense salle où travaillaient déjà cinq ou six de mes camarades, et je m’étais révolté contre cette mesure. Mes camarades qui n’y voyaient point malice, avaient eu beau m’expliquer qu’ils trouvaient, dans cette réunion, l’avantage de tuer, par la causerie, le temps, cet ennemi mortel des employés ; moi, je ne craignais rien tant que cette causerie, qui faisait leurs délices, à eux, et mon supplice, à moi ; car cette causerie était une distraction à ma pensée unique, croissante, éternelle.

Non, tout au contraire de ce grand bureau émaillé de surnuméraires, de commis et de commis d’ordre, j’avais lorgné une espèce de niche séparée par une simple cloison de la loge du garçon de bureau, et dans laquelle celui-ci enfermait les bouteilles qui avaient contenu de l’encre, et qui lui revenaient quand elles étaient vides.