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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/146

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

rayé de projectiles de toute forme, quoique de la même essence ; le papier tomba en cahiers, en rames, en volumes ; je faillis être assommé par un Gradus ad Parnassum !

Il y avait, dans toute cette multitude, une centaine d’anciens militaires qui se mirent à l’œuvre ; en moins d’une heure, trois mille cartouches furent faites et distribuées.

Il faut avoir vu ce spectacle pour se figurer ce que c’était comme animation, comme entrain, comme gaieté.

Chacun criait quelque chose ; l’un : « Vive la République ! » l’autre : « Vive là Charte ! »

Un homme de la bande à Charras s’égosillait à crier : « Vive Napoléon II ! »

Ce cri, trop répété, finit par échauffer les oreilles de Charras, déjà fort républicain à cette époque.

Il alla au bonapartiste.

— Ah ça ! est-ce que vous croyez que c’est pour Napoléon II que nous nous battons ? lui dit-il.

— Battez-vous pour qui vous voudrez, répondit l’homme ; mais c’est pour lui que je me bats, moi !

— Vous en avez le droit… Seulement, si c’est pour lui que vous vous battez, enrôlez-vous dans une autre bande.

— Oh ! je ne demande pas mieux ! dit l’homme : on ne manque pas d’engagements aujourd’hui !

Et il sortit des rangs commandés par Charras, et alla prendre du service dans une troupe conduite par un chef moins absolu dans ses opinions.

En ce moment, par une coïncidence étrange, un nommé Chopin, qui tenait le manège du Luxembourg, arriva au galop sur la place de l’Odéon ; il était vêtu d’une redingote boutonnée, portait un chapeau à trois cornes, et montait un cheval blanc.

Il s’arrêta tout au milieu de la place, une main derrière le dos.

La ressemblance avec Napoléon était frappante, si frappante, que toute cette foule, dont pas un membre n’avait pris parti pour le bonapartiste expulsé, se mit à crier d’un seul élan et d’une voix unanime : « Vive l’empereur ! »