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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/182

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Maintenant que nous avons vu ce qui se passait à l’hôtel Laffitte, voyons ce qui se passait à Saint-Cloud.

On était furieux contre le duc de Raguse ; on ne se contentait pas de dire qu’il avait mal défendu Paris, on disait qu’il avait trahi.

Fatale destinée que celle de cet homme, accusé par tous les partis, même par celui auquel il se sacrifie !

Le dauphin s’était fait substituer à son commandement. C’était un grand général, comme on sait, que M. le dauphin ! N’avait-il pas fait la conquête de l’Espagne ; dans laquelle avait échoué cet heureux casse-cou qu’on appelait Napoléon ?

Il avait surtout beaucoup d’à-propos dans ses reparties. Il vint recevoir les troupes au bois de Boulogne, et, s’approchant d’un capitaine :

— Combien avez-vous perdu d’hommes, capitaine ? demanda-t-il ; combien avez-vous perdu d’hommes ?

Le dauphin avait l’habitude de répéter deux fois ses phrases.

— Beaucoup, monseigneur ! répondit en pleurant, l’officier.

— Il vous en reste bien assez ! il vous en reste bien assez ! dit Son Altesse avec ce bonheur d’à-propos qui la caractérisait.

Les troupes continuèrent leur retraite et arrivèrent à Saint-Cloud écrasées de fatigue, brisées de chaleur, mourant de faim.

On ne les attendait pas, et il n’y avait rien de préparé pour elles.

Le duc de Bordeaux dînait ; M. de Damas fit porter aux soldats des plats de la table du prince. 

L’enfant prenait les plats et les passait lui-même aux domestiques.

L’heure prédite par Barras était venue ; seulement, le pauvre enfant royal ne savait d’autre métier que celui de prince ; — mauvais métier de nos jours, n’est-ce pas, Sa Majesté Napoléon II ? n’est-ce pas, Son Altesse le duc de Bordeaux ? n’est-ce pas, monseigneur le comte de Paris ?…

Cependant, la négociation du docteur Thibaut avait produit