Je n’étais pas venu, comme on le comprend bien, jusqu’à Villers-Cotterets, pour ne point aller à Soissons.
— Non-seulement j’irai à Soissons, répondis-je, mais je ferai tout ce que je pourrai pour y arriver avant onze heures, dussé-je donner vingt francs de guides aux postillons.
— Tu leur en donnerais quarante que tu n’arriverais pas, me dit une voix de connaissance ; mais tu arriveras à minuit, et tu entreras.
Cette voix était celle d’un de mes amis, habitant de Soissons, celui-là même qui, quinze ans auparavant, enfant comme moi, était venu, une heure avant moi, faire au général Lallemand prisonnier une proposition pareille à celle qu’une heure après je lui devais faire.
— Ah ! c’est toi, Hutin ? m’écriai-je. Et comment ferai-je pour entrer ?
— Tu entreras, parce que j’irai avec toi, et que je te ferai entrer… Je suis de Soissons, et je connais le portier.
— Bravo ! et jusqu’à quelle heure avons-nous ?
— Nous avons toute la nuit ; cependant mieux vaudrait arriver avant une heure.
— Bon ! nous avons le temps de souper, alors ?
— Où soupes-tu ?
Dix voix répondirent :
— Chez moi ! chez moi ! chez nous !
Et l’on se mit à me tirer par devant, par derrière, par les basques de ma veste, par le cordon de ma poire à poudre, par la banderole de mon fusil, par les bouts de ma cravate.
— Pardon, dit une autre voix, mais il y a engagement antérieur.
— Ah ! Paillet !…
C’était mon ancien maître clerc.
Je me retournai vers tous mes amphitryons.
— C’est vrai, j’ai promis à Paillet, lors de son dernier voyage à Paris, de venir dîner chez lui.
— Et c’est d’autant mieux, dit Paillet, que la salle à manger est grande, et que ceux qui voudront souper avec nous y trouveront place… Allons, qui l’aime me suive !