tant que je serai de la censure, votre ouvrage sera suspendu.
— C’est bien, monsieur, répondis-je en le saluant, j’attendrai !
— Monsieur, reprit ironiquement M. de Lourdoueix, le mot a été dit déjà.
— Alors, je le répète.
Et je sortis.
La menace était sérieuse : je n’avais plus là M. de Martignac, l’homme d’esprit. Le ministère Polignac avait succédé au sien, et je n’avais aucun moyen d’arriver jusqu’au nouveau président du conseil.
J’attendis ; je n’avais pas d’autre arme que la patience, et, en attendant, un jour que je me promenais sur le boulevard, je m’arrêtai tout à coup, me disant à moi-même :
— Un homme qui, surpris par le mari de sa maîtresse, la tuerait en disant qu’elle lui résistait, et qui mourrait sur l’échafaud à la suite de ce meurtre, sauverait l’honneur de cette femme, et expierait son crime.
L’idée d’Antony était trouvée ; quant au caractère du héros, je crois avoir dit que le Didier de Marion Delorme me l’avait fourni.
Six semaines après, Antony était fait.
Je lus la pièce aux Français ; elle n’obtint qu’un médiocre succès de lecture. Je distribuai mes deux rôles entre mademoiselle Mars et Firmin ; mais il était évident qu’ils eussent autant aimé que je choisisse d’autres interprètes.
J’envoyai la pièce à la censure ; elle fut arrêtée comme Christine.
Cela me faisait la paire.
Mais, soit qu’il y eût, à cette époque, une certaine pudeur dont la tradition s’est depuis perdue, soit que quelque ami à moi eût agi en dessous, — et j’ai toujours soupçonné l’excellente et spirituelle madame du Cayla de m’avoir rendu ce service, — soit, enfin, qu’Harel eût réellement au ministère l’influence qu’il prétendait y avoir, la pièce de Christine nous fut rendue, sans grands changements, dans les premiers jours de mars.