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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 7.djvu/268

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

vie, et, en passant le seuil de celle-là, je revêtirai la robe d’une jeunesse immortelle ! »

Et remarquez qu’avant ce malheureux voyage d’Espagne, on ne désignait Alphonse Rabbe que sous le nom de l’Antinoüs d’Aix.

Une mélancolie incurable s’empara de lui à partir de ce moment.

— Je me survis à moi-même ! disait-il tristement en secouant sa tête, dont il n’avait gardé intacts que les beaux cheveux. Maudit soit l’inventeur des miroirs !

À trente ans, il avait déjà reculé deux fois contre deux tentatives de suicide. Ses mains faiblirent ; le poignard s’émoussa sur son cœur.

Mais, désespéré, il traîna son existence posthume, et se précipita dans l’arène politique comme un gladiateur qui se console en se faisant admirer entre deux tigres.

1821 commençait ; la mort du duc de Berry servait de prétexte à beaucoup de lois rétrogrades ; Alphonse Rabbe trouva le moment opportun ; il vint à Marseille, et fonda le Phocéen dans un pays alors volcan de royalisme.

Voulez-vous savoir comment il parle aux hommes du pouvoir ? Écoutez-le :

» Les oligarques se disputent les lambeaux de la liberté sur le cadavre d’un malheureux prince… Ô liberté ! marque de tes inspirations puissantes ces heures de la nuit que Guillaume Tell et ses amis employaient à frapper des coups réparateurs !… »

Quand on appelle la liberté dans de pareils termes, c’est rarement la liberté qui vient. Un matin, on frappa à la porte de Rabbe ; il alla ouvrir : deux gendarmes l’invitèrent à les suivre et le conduisirent en prison.

Rabbe arrêté, ce fut dans tout Marseille une effroyable explosion de royalisme contre lui. Un écrivain qui avait fait