Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/11

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
8
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

servi, et à l’aide desquels il avait repoussé les coups des philosophes ; au vieil édifice de l’orthodoxie, dont l’abbé de la Mennais entrevoyait, à travers les ténèbres, les causes de ruine, il avait voulu donner pour fondement ou plutôt pour étai le suffrage universel, ou, comme il le disait lui-même, le sens commun ; de là d’incroyables efforts dans le vide pour prouver que le catholicisme était et avait toujours été la religion de l’humanité.

Dans les séminaires, l’abbé de la Mennais fit école, mais cette école était suspecte ; on interdisait aux jeunes gens la lecture d’un ouvrage qui, dans le monde, semblait l’œuvre d’un dieu égaré voulant nier à l’homme le droit de penser. Jamais suicide ne fut plus héroïque, jamais l’intelligence ne mit tant de hardiesse et de logique à se détruire elle-même. Au fond, et à son point de vue, l’abbé de la Mennais avait cependant raison : si vous croyez à une Église infaillible, crevez courageusement les yeux de votre intelligence, éteignez la lumière de votre âme, et, vous étant fait aveugle volontaire, laissez-vous conduire par la main.

Mais, si haut que se place une intelligence solitaire, elle est bien vite atteinte par le mouvement de son siècle.

Il y a deux ou trois ans, un aéronaute de mes amis, Petin, m’annonçait sérieusement de vive voix, et annonçait au monde par l’organe des journaux, qu’il venait de résoudre le grand problème de la navigation aérienne.

Il raisonnait ainsi :

La terre tourne ; — e pur si muove ! — dans ce mouvement de rotation sur elle-même, elle présente successivement tous les points de sa surface déserte ou habitée. Or, quelqu’un qui s’élèverait jusqu’aux dernières couches de l’air ambiant, et qui trouverait le moyen de s’y fixer, descendrait en ballon sur la ville du globe où il lui plairait de toucher terre ; il n’aurait qu’à attendre que cette ville passât sous ses pieds ; il irait de la sorte aux antipodes en douze heures, et, cela, sans fatigue aucune, puisqu’il ne bougerait pas de sa place, et que ce serait la terre qui marcherait pour lui.

Ce calcul n’avait qu’un tort : il était faux. La terre, dans