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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/129

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

fondée ! Comme il tourne en dérision les respectables droits des pères sur leurs enfants, des maris sur leur femme, des maîtres sur leurs serviteurs ! Il fait rire, il est vrai, et il n’en devient que plus coupable en forçant, par un charme invincible, les sages mêmes à se prêter à des railleries qui devraient attirer leur indignation. J’entends dire qu’il attaque les vices ; mais je voudrais bien que l’on comparât ceux qu’il attaque avec ceux qu’il favorise. Quel est le criminel, d’un paysan assez fou pour épouser une demoiselle, ou d’une femme qui cherche à déshonorer son époux ? Que penser d’une pièce où le parterre applaudit à l’infidélité, au mensonge, à l’impudence de celle-ci, et rit de la bêtise du manant puni ? »

De qui cette critique ? Sans doute de quelque prêtre intolérant, de quelque prélat fanatique ?

Point. Elle est de l’auteur des Confessions et de la Nouvelle Héloïse, de Jean-Jacques Rousseau[1] !

Peut-être, au moins, le Misanthrope va-t-il trouver grâce devant la critique. — Il est bien convenu, n’est-ce pas, que la pièce est un chef-d’œuvre ?

Voyons ce qu’on dit l’onctueux Bourdaloue, dans sa Lettre a l’Académie française. C’est court mais précis.

« Un autre défaut de Molière que beaucoup de gens d’esprit lui pardonnent, et que je n’ai garde de lui pardonner, moi, c’est qu’il a donné un tour gracieux au vice, avec une austérité ridicule et odieuse à la vertu ! »

Passons à l’Avare, et revenons à Jean-Jacques Rousseau.

« C’est un grand vice d’être avare et de prêter à usure, dit le philosophe de Genève ; mais n’en est-ce pas un plus grand encore à un fils de voler son père, de lui manquer de respect, de lui faire mille insultants reproches, et, quand un père irrité lui donne sa malédiction, de répondre d’un air goguenard

  1. Lettre à d’Alembert sur les spectacles.