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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/205

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Quoi ?
— Que vous m’aimiez !
— Oui, je l’ai dit.
— Eh bien, donc,
Puisque même destin, même amour nous rassemble,
Bérengère, ce soir…
— Eh bien ?
— Fuyons ensemble !
— Sans frapper ?
— Ses remords vous vengeront-ils pas ?
— Esclave, me crois-tu le cœur placé si bas,
Que je puisse souffrir qu’en ce monde où nous sommes,
J’aie été tour à tour l’amante de deux hommes,
Dont le premier m’insulte, et que tous deux vivront,
Sans que de celui-là m’ait vengé le second ?
Crois-tu que, dans un cœur ardent comme le nôtre,
Un amour puisse entrer sans qu’il dévore l’autre ?
Si tu l’as espéré, l’espoir est insultant !
— Bérengère !
— Entre nous, tout est fini… Va-t’en !
— Grâce !…
— Je saurai bien trouver, pour cette tâche,
Quelque main moins timide et quelque âme moins lâche,
Qui fera pour de l’or ce que, toi, dans ce jour,
Tu n’auras pas osé faire pour de l’amour !
Et, s’il n’en était pas, je saurais bien moi-même,
De cet assassinat affrontant l’anathème,
Me glisser au milieu des femmes, des valets,
Qui flattent les époux de leurs nouveaux souhaits,
Et les faire avorter, ces souhaits trop précoces,
En vidant ce flacon dans la coupe des noces !
— Du poison ?
— Du poison ! Mais ne viens plus, après,
Esclave, me parler d’amour et de regrets !
Refuses-tu toujours ?… Il te reste un quart d’heure.
C’est encore plus de temps qu’il n’en faut pour qu’il meure,
Un quart d’heure !… Réponds, mourra-t-il de ta main ?
Es-tu prêt ? Réponds-moi, car j’y vais. Dis !
— Demain !
— Demain ! Et, cette nuit, dans cette chambre même,
Ainsi qu’il me l’a dit, il lui dira : « Je t’aime ! »