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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/216

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

son, mon voisin nageait encore mieux que moi ; il en résulta que, sans faire aucun effort apparent, il me suivit, se tenant toujours à une égale distance de moi.

Deux ou trois fois, me sentant fatigué, — c’était l’haleine surtout qui me manquait, — j’eus l’idée de reprendre pied ; mais je craignais de m’effrayer en trouvant sous moi une trop grande profondeur.

Je continuai donc de nager jusqu’à ce que mes genoux labourassent le sable.

Les autres nageurs me regardaient avec étonnement ; mon poisson me suivait comme si je l’eusse tenu en laisse.

Arrivé à gratter, comme je l’ai dit, le sable avec mes genoux, je repris pied.

Mon poisson faisait culbutes sur culbutes, et paraissait au comble de la satisfaction.

Je me retournai et regardai avec plus d’attention, et surtout avec plus de calme. Je le reconnus pour un marsouin.

À l’instant même, je pris ma course vers la maison de la mère Oseraie. Je traversai le village tel que j’étais, c’est-à-dire avec mon caleçon de bain.

Quoique la mère Oseraie ne fût pas très-impressionnable, comme elle n’avait point l’habitude de recevoir des voyageurs dans un costume si léger, elle jeta un cri.

— Ne faites pas attention, mère Oseraie, lui dis-je, je viens chercher ma carabine.

— Jésus Dieu ! dit-elle, c’est donc pour chasser dans le paradis terrestre ?

Si j’avais été moins pressé, je me fusse arrêté pour lui faire compliment sur son mot ; mais je ne pensais qu’au marsouin.

Sur l’escalier, je rencontrai madame de la Garenne ; l’escalier était fort étroit : je me rangeai pour la laisser passer.

J’eus l’idée de lui demander des nouvelles de son fils et de son mari ; mais je réfléchis que le moment était mal choisi pour entamer une conversation.

Madame de la Garenne passée, je m’élançai dans ma chambre, et je sautai sur ma carabine.