Tel était Gannot, le futur Mapah, lorsque j’eus l’honneur de faire sa connaissance, vers 1830 ou 1831, au café de Paris.
Encore moins que lui, je pressentais sa divinité à venir, et celui qui m’eût dit, lorsque, à deux heures du matin, je le quittai pour regagner mon troisième étage de la rue de l’Université, que je venais de serrer la main à un dieu, celui-là m’eût certes bien étonné.
J’ai dit que, même avant d’être dieu, Gannot faisait des miracles ; je vais raconter un de ceux que je lui ai à peu près vu faire.
C’était vers 1831, — préciser l’époque de l’année me serait chose impossible ; — un ami de Gannot, un innocent débiteur qui en était encore à sa première lettre de change, vint le trouver et lui exposer sa détresse en termes déchirants. Gannot était un de ces hommes que l’on consulte volontiers dans les moments difficiles, — esprit prompt aux expédients, œil sûr, main ferme.
Malheureusement, Gannot était dans un de ses jours de pauvreté, et, dans ses jours de pauvreté, il eût rendu des points à Job. Il commença donc par avouer son impuissance personnelle, et, comme son ami se désespérait :
— Bah ! dit-il, nous en avons vu bien d’autres ! Nous en avons vu bien d’autres était le mot de Gannot, qui, en effet, en avait vu de toutes les couleurs.
— Eh bien, mais, demanda l’ami, en attendant, comment me tirer de là ?
— As-tu un objet d’une valeur quelconque dont on puisse faire de la monnaie, ne fût-ce que vingt francs, ne fût-ce que dix francs, ne fût-ce que cinq francs ?
— Hélas ! dit le jeune homme, j’ai ma montre…
— Argent ou or ?
— Or.
— Or ! et elle vaut ?
— Elle vaut deux cents francs ; mais c’est à peine si j’en trouverai soixante, et la lettre de change est de cinq cents.
— Va porter ta montre au mont-de-piété.
— Et après ?