CXCVII
On a vu le peu de succès de lecture qu’Antony avait obtenu près de M. Crosnier. Il en était résulté que, de même qu’on ne s’était nullement gêné au Théâtre-Français pour faire passer avant moi le drame de Don Carlos ou l’inquisition, on ne se gêna nullement, à la Porte-Saint-Martin, pour faire passer tout ce qu’il y avait à passer.
Pauvre Antony ! il avait déjà près de deux ans d’existence ; mais ce retard, il faut l’avouer, au lieu de lui nuire en quoi que ce fût, lui devait, au contraire, devenir très-profitable.
Pendant ces deux années, les événements avaient marché et avaient fait à la France une de ces situations fiévreuses dans lesquelles les explosions des excentricités individuelles ont un immense écho. Il y avait dans l’époque quelque chose de maladif et de bâtard qui répondait à la monomanie de mon héros.
Au reste, comme je l’ai dit, je n’avais plus aucune opinion arrêtée sur mon drame ; ma foi, toute juvénile n’avait tenu que pour Henri III et pour Christine ; mais l’horrible concert de sifflets qui m’avait assourdi, à la représentation de cette pièce, avait ébranlé cette foi jusque dans ses bases les plus profondes.
Puis était venue la révolution, qui m’avait jeté dans un tout autre ordre d’idées, et qui m’avait fait croire que j’étais destiné à devenir ce qu’on appelle en politique un homme d’action, croyance qui était tombée encore plus vite que ma croyance littéraire.