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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 9.djvu/261

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Madame, et qui connaissait tous les points de la côte, ainsi que les divers signes de ralliement qu’on devait faire indiquant que l’approche du rivage était dangereuse, ou que l’on pouvait aborder en sûreté.

Le bateau qui était venu au-devant de la princesse était un bateau de pêcheur : ses voiles imprégnées de cette eau de mer qui ne sèche jamais, l’eau croupie au fond de sa carène, le goudron dont il était radoubé, tout cela exhalait une odeur nauséabonde et repoussante ; en outre, il était sans pont, sans abri contre le vent froid et pénétrant de la mer, et laissait se répandre par-dessus son bord, tantôt en poussière humide, tantôt en large pluie, la cime des lames qui se brisaient contre ses flancs.

La princesse et ses compagnons étaient mal vêtus pour une pareille situation ; joignez à cela qu’ils étaient atteints de cette insupportable indisposition que l’on appelle le mal de mer ; supposez une nuit noire, froide, sinistre, et vous aurez une idée de cette heure qui s’écoula en quittant le bateau à vapeur pour le bateau de pêche.

Enfin, on croyait être arrivé sur le point du débarquement, lorsque, en approchant de terre, on aperçoit sur le rivage un point lumineux. À mesure que l’on avance, ce point grossit et se dessine ; ce qu’on avait pris d’abord pour le signal convenu se transforme en un feu allumé, et, à l’aide d’une lunette de nuit, on reconnaît huit ou dix douaniers qui se chauffent à ce feu.

Il fallait s’éloigner à la hâte, et, néanmoins, il était urgent de débarquer avant le jour. Par malheur, le point sur lequel étaient établis les douaniers était le seul abordable : partout ailleurs, la plage était presque inaccessible. On se risqua à Travers les rochers, et l’on parvint à toucher terre par un miracle.

Madame avait été, pendant les trois heures qui venaient de s’écouler, d’un courage admirable. C’était une de ces organisations faibles et nerveuses qu’un souffle semble devoir courber, et qui, cependant, ne jouissent de la plénitude de leurs facultés qu’avec une tempête dans les airs et dans le cœur.