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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Un jour, je disais à un de mes amis misanthrope que, parmi les cerveaux des animaux, celui qui se rapprochait le plus du cerveau de l’homme était le cerveau de la fourmi.

— Ce que vous me dites là n’est pas poli pour la fourmi ! me répondit le misanthrope.

Je ne suis pas tout à fait du même avis que mon ami, et je crois, au contraire, que le cerveau de l’homme est, de tous les cerveaux, le plus curieux à examiner.

Or, comme c’est le cerveau, — jusqu’à présent, du moins, on s’est arrêté là, faute de mieux, — comme c’est le cerveau qui crée la pensée, la pensée qui commande le mouvement, et le mouvement qui produit le fait, nous pouvons dire hardiment qu’étudier les caractères, et regarder les œuvres qui sont les productions du tempérament, c’est étudier le cerveau.

Nous avons dit ce qu’était Horace Vernet, comme aspect physique : petit, mince, leste, agréable à voir, bon à entendre, avec ses cheveux rares, ses sourcils épais, ses yeux bleus, son nez long, sa bouche souriante sous de longues moustaches, et sa royale taillée en pointe.

C’est, avons-nous ajouté, la vie et le mouvement.

Vernet sera, en effet, à la fin de sa carrière, l’un des hommes qui auront le plus vécu, et, le jour où il s’arrêtera, l’un des hommes qui auront le plus marché : grâce à la poste, aux chevaux, aux dromadaires, aux bateaux à vapeur, aux chemins de fer, il a, certes, fait aujourd’hui, c’est-à-dire à soixante-cinq ans, plus de chemin que le Juif errant ! — Il est vrai que le Juif errant va à pied, ses cinq sous ne lui permettant pas la locomotion rapide, et sa fierté se refusant à la locomotion gratuite. — Vernet, disons-nous, a déjà fait, à cette heure, plus de chemin que le Juif errant n’en a fait depuis mille ans ; son travail lui-même est une espèce de voyage : nous lui avons vu peindre la Smala avec un échafaudage montant jusqu’au plafond, des terrasses s’étendant dans toute la longueur de la salle ; c’était curieux de le voir, allant, venant, montant, descendant, ne s’arrêtant, à chaque station, que cinq minutes, comme on ne s’arrête à Creil que dix minutes, comme on ne s’arrête à Valenciennes qu’une