Page:Dumas - Une Année à Florence.djvu/121

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tait pour Pise ou pour Florence ; mais non : puisqu’on est à Livourne, on veut voir Livourne. Or, ce n’est guère la peine, car il n’y a que trois choses à voir dans cette ville : les galériens, la statue de Ferdinand Ier, et la madone de Montenero.

Les galériens sont mêlés à la population, et s’occupent de toutes sortes de travaux : ils balaient, ils écarrissent des planches, ils traînent des brouettes : ils sont vêtus d’un pantalon jaune, d’un bonnet rouge et d’une veste brune dont il serait difficile de spécifier la couleur primitive. Sur le dos de cette veste est indiqué le crime pour lequel le premier propriétaire de l’habit a été condamné ; mais, comme il arrive souvent que le bagne use le criminel avant que le criminel use l’habit, la veste passe avec son étiquette sur le dos de celui qui lui succède. Il en résulte que, pour les galériens toscans, la veste est une grande affaire ; c’est une demi-grâce ou une double condamnation. Comme les galériens sont les seuls à Livourne qui demandent et qui ne prennent pas, la question pour l’industriel est d’avoir une veste qui éveille la commisération publique. Or, il y a des crimes que tout le monde méprise, tandis qu’il y en a d’autres que tout le monde plaint : personne ne fait l’aumône à un voleur ou à un faussaire ; chacun donne à un assassin par amour. Aussi celui à qui tombe une pareille veste n’a plus à s’occuper de rien que de la brosser : chacun l’arrête pour lui faire raconter son aventure. Nous en vîmes un qui faisait pleurer a chaudes larmes deux Anglaises, et peut-être nous allions pleurer comme elles, lorsque son camarade, à qui il avait refusé probablement un intérêt dans sa recette, nous le dénonça comme un voleur avec effraction. Le véritable assasino per amore était mort il y avait huit ans, et sa veste avait déjà fait la fortune de trois de ses successeurs. Je donnai un demi-paul à ce brave homme, qui portait écrit en grosses lettres sur le dos le mot voleur, hasard qui l’avait ruiné, car il avait beau dire qu’il était incendiaire, personne ne voulait le croire ; aussi, dans sa reconnaissance d’une aubaine aussi inattendue et aussi rare, promit-il bien de prier Dieu pour moi. Je revins sur mes pas pour l’engager à n’en rien faire, présumant que mieux valait pour moi