cette entrevue le bienheureux papier que Pietro estimait à si haut prix. Hélas ! ce papier n’était si fort désiré par Pietro que parce qu’il lui donnait la liberté de suivre le jour la dame voilée qu’il n’avait encore pu suivre que la nuit.
il arriva ce qui devait arriver. Pietro fut l’amant de la dame voilée, et Bianca fut la maîtresse du duc. Cependant, attendu que Cosme Ier négociait à cette époque le mariage du grand duc François avec l’archiduchesse Jeanne d’Autriche, il fut convenu entre les deux amans que l’intrigue resterait secrète : en attendant on donna à Pietro Bonaventuri un emploi qui suffisait pour répandre le bien-être dans toute sa pauvre famille.
Le mariage désiré se fit : le jeune grand-duc donna une année aux convenances, ne visitant Bianca que la nuit, et sortant toujours de son palais seul et déguisé ; mais au bout d’un an, ayant reçu du grand-duc son père une lettre qui lui disait que de pareilles promenades étaient dangereuses pour un prince, il donna à Pietro un emploi dans le palais Pitti, et acheta pour Bianca la charmante maison qui se voit encore aujourd’hui via Maggio, surmontée des armes des Médicis. Ainsi, Bianca se trouva tellement rapprochée de Francesco, qu’il n’avait besoin, pour ainsi dire, que de traverser la place Pitti, et qu’il se trouvait chez elle.
On sait les dispositions qu’avait Pietro à la dissipation et à l’insolence. Sa nouvelle position leur donna une nouvelle force. Il se jeta à plein corps dans les orgies, dans le jeu et dans les aventures galantes, se fit force ennemis des buveurs vaincus, des joueurs à sec et des maris trompés, si bien qu’un beau matin on le trouva percé de cinq ou six coups de poignard, dans une impasse, à l’extrémité du pont Vieux.
Il y avait trois ans que les deux amans étaient partis de Venise en jurant de s’aimer toujours, et il y avait deux ans que chacun de son côté avait oublié sa promesse. Il en résulta que Pietro fut peu regretté, même de sa femme, pour laquelle depuis longtemps il n’était qu’un étranger. Il n’y eut que la bonne vieille mère qui mourut de chagrin de voir ainsi mourir son fils.