Page:Dumas - Une Année à Florence.djvu/181

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trangères qui arrivent de Paris, de Londres et de Saint-Pétersbourg, espérant écraser leurs rivales sous le poids de tout ce qu’il y a de plus nouveau dans les trois capitales. Les Françaises, avec leur élégance simple ; les Anglaises, avec leurs plumes sans fin et leurs robes aux couleurs voyantes et criardes ; les Russes, avec leurs rivières de diamans et leurs fleuves de turquoises. Mais les Florentines ont de quoi faire face à tout ; elles tirent des vieilles armoires sculptées de leurs ancêtres, des flots de guipures, de point et d’Angleterre, des poignées de diamans princiers ou pontificaux transmis de pères en fils, de ces riches étoffes de brocard comme Véronèse en met à ses rois mages ; elles écrivent à mademoiselle Baudran de leur envoyer tout ce qu’elle chiffonnera pendant l’hiver, et elles attendent tranquillement le résultat de la campagne. Il en résulte qu’il y a peu de grandes capitales où l’on rencontre un luxe de toilette pareil à celui de Florence.

On comprend ce que devient le pauvre Opéra, au milieu de si graves intérêts : les lorgnettes vont d’une loge à l’autre ; vers la scène jamais. À moins qu’on ne joue quelque opéra nouveau et inconnu, on cause à peu près pendant tout le temps qu’il dure. Je ne connais que Robert-le-Diable qui soit venu mettre, pendant trente ou quarante représentations de suite, une trêve de Dieu entre les combattans.

En échange, on écoute religieusement le ballet ; il se compose de sixièmes ou septièmes danseuses parisiennes, mais ces demoiselles remédient à la faiblesse de leur talent par le peu de longueur de leurs robes. Elles dansent comme cela se trouve, tantôt sur la plante du pied, tantôt sur le talon, rarement sur la pointe, estropiant les pas, manquant les équilibres, mais raccommodant tout avec une pirouette. Une pirouette, c’est le fond de la danse, comme legno et roba sont le fond de la langue : plus elle dure, plus elle est applaudie. Aussi y a-t-il peu de toupies et de tontons qui puissent rivaliser avec les danseuses florentines. Elles lasseraient un faquir.

Malheureusement le danseur est encore fort à la mode dans les ballets de la Pergola, et il ne le cède aux femmes, ni en mines gracieuses ni en pirouettes prolongées ; c’est peut--