presque doublées, et, sans être plus qu’un citoyen, il avait acquis une influence étrange. Placé en dehors du gouvernement, il ne l’attaquait point, mais aussi ne le flattait pas. Le gouvernement suivait une bonne voie, il était sûr de sa louange ; s’écartait-il du droit chemin, il n’échappait point à son blâme ; et cette louange ou ce blâme de Cosme l’Ancien étaient d’une importance suprême, car sa gravité, ses richesses et ses cliens donnaient à Cosme le rang d’un homme public. Ce n’était point encore le chef du gouvernement, mais c’était déjà plus que cela peut-être : c’était son censeur.
Aussi l’on comprend quel orage devait secrètement s’amasser contre un pareil homme. Cosme le voyait poindre et l’entendait gronder ; mais, tout entier aux grands travaux qui cachaient ses grands projets, il ne tournait pas même la tête du côté de cet orage naissant, et faisait achever la chapelle Saint-Laurent, bâtir l’église du couvent des dominicains de Saint-Marc, élever le monastère de San-Frediano, et jeter enfin les fondemens de ce beau palais de Via Larga, appelé aujourd’hui palais Riccardi. Seulement, lorsque ses ennemis le menaçaient trop ouvertement, comme le temps de la lutte n’était pas encore venu pour lui, il quittait Florence pour s’en aller dans le Bugello, berceau de sa race, bâtir les couvens del Bosco et de Saint-François, rentrait sous le prétexte de donner un coup d’œil à sa chapelle du noviciat des pères de Saint-Croix et du Couvent-des-Anges des Camaldules, puis il sortait de nouveau pour aller presser les travaux de ses villas de Carreggi, de Caffaggio, de Fiesole et de Tribbio, ou fondait à Jérusalem un hôpital pour les pauvres pèlerins. Cela fait, il revenait voir où en étaient les affaires de la république, et son palais de Via Larga.
Et toutes ces constructions immenses sortaient à la fois de terre, occupant tout un monde de manœuvres, d’ouvriers et d’architectes : et cinq cent mille écus y passaient, c’est-à-dire sept ou huit millions de notre monnaie actuelle, sans que le fastueux citoyen parut le moins du monde appauvri de cette éternelle et royale dépense.
C’est qu’en effet Cosme était plus riche que bien des rois de l’époque, son père Giovanni lui ayant laissé à peu près