Page:Dumas - Une Année à Florence.djvu/229

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nature capricieuse en produit dans ses époques de dissolution. De temps en temps, de ce composé d’élémens hétérogènes jaillissait un vœu ardent de gloire et d’immortalité, d’autant plus inattendu qu’il parlait d’un corps si frêle et si féminin qu’on ne l’appelait que Lorenzino. Ses meilleurs amis ne l’avaient jamais vu ni rire ni pleurer, mais toujours railler et maudire. Alors son visage, plutôt gracieux que beau, car il était naturellement brun et mélancolique, prenait une expression si infernale, que, quelque rapide qu’elle fut, car elle ne passait jamais sur sa face que comme un éclair, les plus braves en étaient épouvantés. À quinze ans, il avait été étrangement aimé du pape Clément, qui l’avait fait venir à Berne, et qu’il avait eu plusieurs fois l’intention d’assassiner. Puis, à son retour à Florence, il s’était mis à courtiser le duc Alexandre avec tant d’adresse et d’humilité, qu’il était devenu non pas un de ses amis, mais peut-être son seul ami.

Il est vrai qu’avec Lorenzino pour familier, Alexandre pouvait se passer des autres. Lorenzo lui était bon à tout : c’était son bouffon, c’était son complaisant, c’était son valet, c’était son espion, c’était son amant, c’était sa maîtresse. Il n’y avait que quand le duc Alexandre avait envie de s’exercer aux armes, que son compagnon éternel lui faisait faute, et se couchait sur quelque lit moëlleux ou sur quelques coussins bien doux, en disant que toutes ces cuirasses étaient trop dures pour sa poitrine, et toutes ces dagues et ces épées trop lourdes pour sa main. — Alors, tandis qu’Alexandre s’escrimait avec les plus habiles spadassins de l’époque, lui, Lorenzino, jouait avec un petit couteau de femme, aigu et effilé, et dont il essayait la pointe en perçant des florins d’or, et en disant que c’était là son épée à lui, et qu’il n’en voulait jamais porter d’autre. — Si bien qu’en le voyant si mou, si humble et si lâche, on ne l’appelait plus même Lorenzino, mais Lorenzaccio.

Aussi, de son côté, le duc Alexandre avait-il une grande confiance en lui ; et la preuve la plus certaine qu’il lui en donnait, c’est qu’il était l’entremetteur de toutes ses intrigues amoureuses. Quel que fût le désir du duc Alexandre, soit que ce désir montât au plus haut, soit qu’il descendit au plus