Page:Dumas - Une Année à Florence.djvu/88

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Monaco est peut-être la seule où il reste encore des carlins. Il n’y avait qu’un parti à prendre, c’était d’abaisser le prix de ses cigares au prix des cigares d’Honoré V, ou de traiter avec lui de puissance à puissance. Le roi Charles-Albert préféra traiter : baisser le prix de ses cigares, vu la répugnance que les peuples ont en général pour l’administration des droits réunis, lui eût semblé une concession politique.

Il fut donc établi un congrès entre les deux souverains pour régler cette importante question de commerce ; mais comme les prétentions du prince de Monaco paraissaient exagérées au roi de Sardaigne, à l’instar du congrès de Rastadt, le congrès de Monaco traîna en longueur, si bien que le temps de la récolte arriva.

Le prince de Monaco donna une livre de tabac de gratification à chacun de ses cinquante carabiniers, et les envoya fumer sur les frontières du roi Charles-Albert.

Les soldats sardes flairèrent la fumée des pipes de leurs voisins les Monacois ; c’était, comme l’avait dit le prince dans son prospectus, une véritable fumée havanaise, sans aucun mélange de ces herbes inouïes que les souverains ont l’habitude de vendre pour du tabac : les Sardes étaient connaisseurs, ils accoururent sur les frontières d’Honoré V, et demandèrent aux carabiniers du prince où ils achetaient leur tabac. Les carabiniers répondirent que c’étaient des plants que leur souverain bien aimé avait fait venir de Cuba et de Latakié, et dont, outre leur solde qui était égale à celle des soldats sardes, ils recevaient une livre par semaine.

Le même jour, vingt soldats du roi Charles-Albert désertèrent et vinrent demander du service à Honoré V, lui offrant, s’il les acceptait, de faire déserter aux mêmes conditions tout le régiment.

Le danger devenait pressant, le régiment pouvait suivre les vingt hommes, et l’armée suivre le régiment ; or, comme la monarchie du roi Charles-Albert est une monarchie toute militaire, qui n’a pas encore eu le temps de se creuser des racines bien profondes dans le peuple, il vit d’un seul coup d’œil que si l’armée désertait ainsi en masse, ce serait Honoré V qui serait roi de Sardaigne ; quant à lui, il serait bien heureux si on le laissait même prince de Monaco. En