Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/114

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d’un massif d’arbres épais que le printemps poudrait d’une neige de fleurs.

À cette vue, d’Artagnan, qui d’ordinaire s’émotionnait peu, sentit un trouble étrange pénétrer jusqu’au fond de son cœur ; tant sont puissants pendant tout le cours de la vie ces souvenirs de jeunesse. Planchet, qui n’avait pas les mêmes motifs d’impression, interdit de voir son maître si agité, regardait alternativement d’Artagnan et la maison.

Le mousquetaire fit encore quelques pas en avant et se trouva en face d’une grille travaillée avec le goût qui distingue les fontes de cette époque.

On voyait, par cette grille, des potagers tenus avec soin, une cour assez spacieuse, dans laquelle piétinaient plusieurs chevaux de main, tenus par des valets en livrées différentes, et un carrosse attelé de deux chevaux du pays.

— Nous nous trompons, ou cet homme nous a trompés, dit d’Artagnan, ce ne peut être là que demeure Athos. Mon Dieu ! serait-il mort, et cette propriété appartiendrait-elle à quelqu’un de son nom ? Mets pied à terre, Planchet, et va t’informer ; j’avoue que pour moi je n’en ai pas le courage.

Planchet mit pied à terre.

— Tu ajouteras, dit d’Artagnan, qu’un gentilhomme qui passe désire avoir l’honneur de saluer M. le comte de La Fère, et si tu es content des renseignements, eh bien, alors nomme-moi.

Planchet, traînant son cheval par la bride, s’approcha de la porte, fit retentir la cloche de la grille, et aussitôt un homme de service, aux cheveux blanchis, à la taille droite malgré son âge, vint se présenter et reçut Planchet.

— C’est ici que demeure M. le comte de La Fère ? demanda Planchet.

— Oui, Monsieur, c’est ici, répondit le serviteur à Planchet, qui ne portait pas de livrée.

— Un seigneur retiré du service, n’est-ce pas ?

— C’est cela même.

— Et qui avait un laquais nommé Grimaud, reprit Planchet, qui, avec sa prudence habituelle, ne croyait pas pouvoir s’entourer de trop de renseignements.

— M. Grimaud est absent du château pour le moment, dit le serviteur, commençant à regarder Planchet des pieds à la tête, peu accoutumé qu’il était à de pareilles interrogations.

— Alors, s’écria Planchet radieux, je vois bien que c’est bien le même comte de La Fère que nous cherchons. Veuillez m’ouvrir alors, car je désirerais annoncer à M. le comte que mon maître, un gentilhomme de ses amis, est là qui voudrait le saluer.

— Que ne disiez-vous cela plus tôt ! dit le serviteur en ouvrant la grille. Mais votre maître, où est-il ?

— Derrière moi, il me suit.

Le serviteur ouvrit la grille et précéda Planchet, lequel fit signe à d’Artagnan qui, le cœur plus palpitant que jamais, entra à cheval dans la cour.

Lorsque Planchet fut sur le perron, il entendit une voix sortant d’une salle basse et qui disait :

— Eh bien ! où est-il, ce gentilhomme, et pourquoi ne pas le conduire ici ?

Cette voix, qui parvint jusqu’à d’Artagnan, réveilla dans son cœur mille sentiments, mille souvenirs qu’il avait oubliés. Il sauta précipitamment en bas de son cheval, tandis que Planchet, le sourire sur les lèvres, s’avançait vers le maître du logis.

— Mais je connais ce garçon-là, dit Athos en apparaissant sur le seuil.

— Oh ! oui, monsieur le comte, vous me connaissez, et moi aussi je vous connais bien. Je suis Planchet, Monsieur le comte, Planchet, vous savez bien.