Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/116

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pliquait le mystère de cette vie régénérée. Il attendit, regardant et écoutant.

— Vous voici de retour, Raoul ? dit le comte.

— Oui, monsieur, répondit le jeune homme avec respect, et je me suis acquitté de la commission que vous m’aviez donnée.

— Mais qu’avez-vous, Raoul ? dit Athos avec sollicitude ; vous êtes pâle et vous paraissez agité.

— C’est qu’il vient, monsieur, répondit le jeune homme, d’arriver un malheur à notre petite voisine.

— À Mlle  de La Vallière ? dit vivement Athos.

— Quoi donc ? demandèrent quelques voix.

— Elle se promenait avec sa bonne Marceline dans l’enclos où les bûcherons équarrissent leurs arbres, lorsqu’en passant à cheval je l’ai aperçue et me suis arrêté. Elle m’a aperçu à son tour, et en voulant sauter du haut d’une pile de bois où elle était montée, le pied de la pauvre enfant est tombé à faux et elle n’a pu se relever. Elle s’est, je crois, foulé la cheville.

— Oh mon Dieu ! dit Athos ; et Mme  de Saint-Remy, sa mère, est-elle prévenue ?

— Non, monsieur. Mme  de Saint-Remy est à Blois, près de madame la duchesse d’Orléans. J’ai eu peur que les premiers secours fussent inhabilement appliqués, et j’accourais, Monsieur, vous demander des conseils.

— Envoyez vite à Blois, Raoul, ou plutôt prenez votre cheval et courez-y vous-même.

Raoul s’inclina.

— Mais où est Louise ? continua le comte.

— Je l’ai apportée jusqu’ici, Monsieur, et l’ai déposée chez la femme de Charlot, qui, en attendant, lui a fait mettre le pied dans de l’eau glacée.

Après cette explication, qui avait fourni un prétexte pour se lever, les hôtes d’Athos prirent congé de lui ; le vieux duc de Barbé seul, qui agissait familièrement en vertu d’une amitié de vingt ans avec la maison de La Vallière, alla voir la petite Louise qui pleurait et qui, en apercevant Raoul, essuya ses beaux yeux et sourit aussitôt. Alors il proposa d’emmener la petite Louise à Blois dans son carosse.

— Vous avez raison, Monsieur, dit Athos, elle sera plus tôt près de sa mère ; quant à vous, Raoul, je suis sûr que vous avez agi étourdiment et qu’il y a de votre faute.

— Oh ! non, non, monsieur, je vous le jure ! s’écria la jeune fille tandis que le jeune homme pâlissait à l’idée qu’il était peut-être la cause de cet accident.

— Oh ! monsieur, je vous assure… murmura Raoul.

— Vous n’en irez pas moins à Blois, continua le comte avec bonté, et vous ferez vos excuses et les miennes à Mme  de Saint-Remy, puis vous reviendrez.

Les couleurs reparurent sur les joues du jeune homme ; après avoir consulté des yeux le comte, il reprit dans ses bras déjà vigoureux la petite fille, dont la jolie tête endolorie et souriante à la fois posait sur son épaule, et il l’installa doucement dans le carosse ; puis, sautant sur son cheval avec l’élégance et l’agilité d’un écuyer consommé, après avoir salué Athos et d’Artagnan, il s’éloigna rapidement, accompagnant la portière du carosse, vers l’intérieur duquel ses yeux restèrent constamment fixés.


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