Altesse, il paraît que M. de Chavigny s’absente pour quelques jours, et avant son départ il me prévient qu’il a des ordres à me donner.
Le duc essaya d’échanger un regard avec Grimaud, mais l’œil de Grimaud était sans regard.
— Allez, dit le duc à la Ramée, et revenez le plus tôt possible.
— Monseigneur veut-il donc prendre sa revanche de la partie de paume d’hier ?
Grimaud fit un signe de tête imperceptible de haut en bas.
— Oui, dit le duc, mais prenez garde, mon cher la Ramée, les jours se suivent et ne se ressemblent pas ; de sorte qu’aujourd’hui je suis décidé à vous battre d’importance.
La Ramée sortit ; Grimaud le suivit des yeux, sans que le reste de son corps déviât d’une ligne ; puis, lorsqu’il vit la porte refermée, il tira vivement de sa poche un crayon et un carré de papier.
— Écrivez, monseigneur, dit-il.
— Et que faut-il que j’écrive ?
Grimaud fit un signe du doigt et dicta :
« Tout est prêt pour demain soir, tenez-vous sur vos gardes de sept à neuf heures, ayez deux chevaux de main tout prêts, nous descendrons par la première fenêtre de la galerie. »
— Après ? dit le duc.
— Après, monseigneur ? reprit Grimaud étonné. Après ? signez.
— Et c’est tout ?
— Que voulez-vous de plus, monseigneur ? reprit Grimaud, qui était pour la plus austère concision.
Le duc signa.
— Maintenant, dit Grimaud, monseigneur a-t-il perdu la balle ?
— Quelle balle ?
— Celle qui contenait la lettre.
— Non, j’ai pensé qu’elle pouvait nous être utile. La voici.
Et le duc prit la balle sous son oreiller et la présenta à Grimaud.
Grimaud sourit le plus agréablement qu’il lui fut possible.
— Eh bien ? demanda le duc.
— Eh bien, Monseigneur, dit Grimaud, je recouds le papier dans la balle, et en jouant à la paume vous envoyez la balle dans le fossé.
— Mais peut-être sera-t-elle perdue ?
— Soyez tranquille, monseigneur, il y aura quelqu’un pour la ramasser.
— Un jardinier ? demanda le duc.
Grimaud fit signe que oui.
— Le même qu’hier ?
Grimaud répéta son signe.
— Le comte de Rochefort, alors ?
Grimaud fit trois fois signe que oui.
— Mais, voyons, dit le duc, donne-moi au moins quelques détails sur la manière dont nous devons fuir.
— Cela m’est défendu, dit Grimaud, avant le moment même de l’exécution.
— Quels sont ceux qui m’attendront de l’autre côté du fossé ?
— Je n’en sais rien, monseigneur.
— Mais au moins, dis-moi ce que contiendra ce fameux pâté si tu ne veux pas que je devienne fou.
— Monseigneur, dit Grimaud, il contiendra deux poignards, une corde à nœud et une poire d’angoisse.
— Bien, je comprends.
— Monseigneur voit qu’il y en aura pour tout le monde.
— Nous prendrons pour nous les poignards et la corde, dit le duc.
— Et nous ferons manger la poire à la Ramée, répondit Grimaud.
— Mon cher Grimaud, dit le duc, tu ne parles pas souvent, mais quand tu parles, c’est une justice à te rendre, tu parles d’or.