Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/171

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Après ? dit-elle.

— Après ? dit Athos. Ah ! voilà justement le difficile.

— Dites, dites, dites ! On peut tout me dire, à moi. D’ailleurs cela ne me regarde pas, et c’est l’affaire de Mlle Marie Michon.

— Ah ! c’est juste, dit Athos. Eh bien donc, Marie Michon soupa avec sa suivante, et, après avoir soupé, selon la permission qui lui avait été donnée, elle rentra dans la chambre où reposait son hôte, tandis que Ketty s’accommodait sur un fauteuil dans la première pièce, c’est-à-dire dans celle où l’on avait soupé.

— En vérité, Monsieur, dit Mme de Chevreuse, à moins que vous ne soyez le démon en personne, je ne sais pas comment vous pouvez connaître tous ces détails.

— C’était une charmante femme que cette Marie Michon, reprit Athos, une de ces folles créatures à qui passent sans cesse dans l’esprit les idées les plus étranges, un de ces êtres nés pour nous damner tous tant que nous sommes. Or, en pensant que son hôte était prêtre, il vint à l’esprit de la coquette que ce serait un joyeux souvenir pour sa vieillesse, au milieu de tant de souvenirs joyeux qu’elle avait déjà, que celui d’avoir damné un abbé.

— Comte, dit la duchesse, ma parole d’honneur, vous m’épouvantez !

— Hélas ! reprit Athos, le pauvre abbé n’était pas un saint Ambroise, et, je le répète, Marie Michon était une adorable créature.

— Monsieur, s’écria la duchesse en saisissant les mains d’Athos, dites-moi tout de suite comment vous savez tous ces détails, ou je fais venir un moine du couvent des Vieux Augustins et je vous exorcise.

Athos se mit à rire.

— Rien de plus facile, madame. Un cavalier, qui lui-même était chargé d’une mission importante, était venu demander une heure avant vous l’hospitalité au presbytère, et cela au moment même où le curé, appelé auprès d’un mourant, quittait non seulement sa maison, mais le village pour toute la nuit. Alors l’homme de Dieu, plein de confiance dans son hôte, qui d’ailleurs était gentilhomme, lui avait abandonné maison, souper et chambre. C’était donc à l’hôte du bon abbé, et non à l’abbé lui-même que Marie Michon était venue demander l’hospitalité.

— Et ce cavalier, cet hôte, ce gentilhomme arrivé avant elle…

— C’était moi, le comte de La Fère, dit Athos en se levant et en saluant respectueusement la duchesse de Chevreuse.

La duchesse resta un moment stupéfaite, puis tout à coup éclatant de rire :

— Ah ! ma foi ! dit-elle, c’est fort drôle, et cette folle de Marie Michon a trouvé mieux qu’elle n’espérait. Asseyez-vous, cher comte, et reprenez votre récit.

— Maintenant, il me reste à m’accuser, madame. Je vous l’ai dit, moi-même je voyageais pour une mission pressée ; dès le point du jour je sortis de la chambre, sans bruit, laissant dormir mon charmant compagnon de gîte. Dans la première pièce dormait aussi, la tête renversée sur un fauteuil, la suivante, en tout digne de la maîtresse. Sa jolie figure me frappa ; je m’approchai et je reconnus cette petite Ketty, que notre ami Aramis avait placée auprès d’elle. Ce fut ainsi que je sus que la charmante voyageuse était…

— Marie Michon, dit vivement Mme de Chevreuse.

— Marie Michon, reprit Athos. Alors je sortis de la maison, j’allai à l’écurie, je trouvai mon cheval sellé et mon laquais prêt ; nous partîmes.

— Et vous n’êtes jamais repassé par ce village ? demanda vivement Mme de Chevreuse.

— Un an après, Madame.

— Eh bien ?

— Eh bien ! je voulus revoir le bon curé. Je le trouvai fort préoccupé d’un évènement auquel il ne comprenait