tait à Scarron ? on pouvait maintenant fronder chez lui tout à l’aise : depuis le matin, comme il l’avait dit, il n’était plus le malade de la reine.
Quant à Raoul, il avait en effet accompagné la duchesse jusqu’à son carrosse, où elle avait pris place en lui donnant sa main à baiser ; puis, par un de ses fous caprices qui la rendaient si adorable et surtout si dangereuse, elle l’avait saisi tout à coup par la tête et l’avait embrassé au front en lui disant :
— Vicomte, que mes vœux et ce baiser vous portent bonheur !
Puis elle l’avait repoussé et avait ordonné au cocher de toucher à l’hôtel de Luynes. Le carrosse était parti : Mme de Chevreuse avait fait au jeune homme un dernier signe par la portière, et Raoul était remonté tout interdit.
Athos comprit ce qui s’était passé et sourit.
— Venez, vicomte, dit-il, il est temps de vous retirer ; vous partez demain pour l’armée de M. le Prince, dormez bien votre dernière nuit de citadin.
— Je serai donc soldat ? dit le jeune homme ; oh ! monsieur, merci de tout mon cœur !
— Adieu ! comte, dit l’abbé d’Herblay ; je rentre dans mon couvent.
— Adieu, l’abbé, dit le coadjuteur, je prêche demain et j’ai vingt textes à consulter ce soir.
— Adieu, Messieurs, dit le comte ; moi je vais dormir vingt-quatre heures de suite, je tombe de lassitude.
Les trois hommes se saluèrent et partirent après avoir échangé un dernier regard. Scarron les suivait du coin de l’œil à travers les portières de son salon.
— Pas un d’eux ne fera ce qu’il dit, murmura-t-il avec son petit sourire de singe ; mais qu’ils aillent, les braves gentilshommes ! Qui sait s’ils ne travaillent pas à me faire rendre ma pension ! Ils peuvent remuer les bras, eux, c’est beaucoup ; hélas ! moi je n’ai que la langue, mais je tâcherai de prouver que c’est quelque chose. Holà ! Champenois, voilà onze heures qui sonnent ; venez me rouler vers mon lit… En vérité, cette demoiselle d’Aubigné est bien charmante !
Sur ce, le pauvre paralytique disparut dans sa chambre à coucher, dont la porte se referma derrière lui, et les lumières s’éteignirent l’une après l’autre dans le salon de la rue des Tournelles.