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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/189

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Le laquais s’approcha alors d’Athos avec une certaine hésitation, et lui dit tout bas :

— Monsieur le vicomte n’a pas d’épée, car M. le comte m’a fait enlever hier soir celle qu’il a quittée.

— C’est bien, dit Athos, cela me regarde.

Raoul ne parut pas s’apercevoir du colloque. Il descendit regardant le comte à chaque instant pour voir si le moment des adieux était arrivé ; mais Athos ne sourcillait pas.

Arrivé sur le perron, Raoul vit trois chevaux.

— Oh ! monsieur, s’écria-t-il tout radieux, vous m’accompagnez donc ?

— Je veux vous conduire quelque peu, dit Athos.

La joie brilla dans les yeux de Raoul, et il s’élança légèrement sur son cheval. Athos monta lentement sur le sien après avoir dit un mot tout bas au laquais, qui, au lieu de suivre immédiatement, remonta au logis. Raoul, enchanté d’être en la compagnie du comte, ne s’aperçut ou feignit de ne s’apercevoir de rien.

Les deux gentilshommes prirent par le Pont-Neuf, suivirent les quais ou plutôt ce qu’on appelait alors l’abreuvoir Pépin, et longèrent les murs du Grand-Châtelet. Ils entraient dans la rue Saint-Denis lorsqu’ils furent rejoints par le laquais.

La route se fit silencieusement. Raoul sentait bien que le moment de la séparation approchait, le comte avait donné la veille différents ordres pour des choses qui le regardaient, dans le courant de la journée. D’ailleurs ses regards redoublaient de tendresse, et les quelques paroles qu’il laissait échapper redoublaient d’affection. De temps en temps, une réflexion ou un conseil lui échappait, et ses paroles étaient pleines de sollicitude.

Après avoir passé la porte Saint-Denis, et comme les deux cavaliers étaient arrivés à la hauteur des Récolets, Athos jeta les yeux sur la monture du vicomte.

— Prenez-y garde, Raoul, lui dit-il, vous avez la main lourde : je vous l’ai déjà dit souvent, il faudrait ne point oublier cela, car c’est un grand défaut dans un écuyer. Voyez : votre cheval est déjà fatigué ; il écume, tandis que le mien semble sortir de l’écurie. Vous lui endurcissez la bouche en lui serrant ainsi le mors, et, faites-y attention, vous ne pouvez plus le faire manœuvrer avec la promptitude nécessaire. Le salut d’un cavalier est parfois dans la prompte obéissance de son cheval. Dans huit jours, songez-y, vous ne manœuvrerez plus dans un manége, mais sur un champ de bataille.

Puis tout à coup, pour ne point donner une trop triste importance à cette observation :

— Voyez donc, Raoul, continuait Athos, la belle plaine pour voler la perdrix.

Le jeune homme profitait de la leçon, et admirait surtout avec quelle tendre délicatesse elle était donnée.

— J’ai encore remarqué l’autre jour une chose, disait Athos, c’est qu’en tirant le pistolet vous teniez le bras trop tendu. Cette tension fait perdre de la justesse au coup. Aussi sur douze fois manquâtes-vous trois fois le but.

— Que vous atteignîtes douze fois, vous, monsieur, répondit en souriant Raoul.

— Parce que je pliais la saignée et que je reposais ainsi ma main sur mon coude. Com-