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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/201

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— Parle, dit le duc.

— Monseigneur, dit La Ramée, n’oubliez pas, s’il m’arrive malheur à cause de vous, que j’ai une femme et quatre enfants.

— Sois tranquille. Enfonce, Grimaud.

En une seconde La Ramée fut bâillonné et couché à terre ; deux ou trois chaises furent renversées en signe de lutte ; Grimaud prit dans les poches de l’exempt toutes les clés qu’elles contenaient, ouvrit d’abord la porte de la chambre où ils se trouvaient, la referma à double tour quand ils furent sortis, puis tous deux prirent rapidement le chemin de la galerie qui conduisait au petit enclos. Les trois portes furent successivement ouvertes et fermées avec une promptitude qui faisait honneur à la dextérité de Grimaud. Enfin, l’on arriva au jeu de paume. Il était parfaitement désert, pas de sentinelles, personne aux fenêtres.

Le duc courut au rempart et aperçut de l’autre côté des fossés trois cavaliers avec deux chevaux de main. Le duc échangea un signe avec eux : c’était bien pour lui qu’ils étaient là.

Pendant ce temps, Grimaud attachait le fil conducteur. Ce n’était pas une échelle de corde, mais un peloton de soie avec un bâton qui devait se passer entre les jambes et se dévider de lui-même par le poids de celui qui se tiendrait dessus à califourchon.

— Va, dit le duc.

— Le premier, monseigneur ? demanda Grimaud.

— Sans doute, dit le duc ; si on me rattrape, je ne risque que la prison ; si on te rattrape, toi, tu es pendu.

— C’est juste, dit Grimaud.

Et aussitôt, se mettant à cheval sur le bâton, Grimaud commença sa périlleuse descente ; le duc le suivit des yeux avec une terreur involontaire ; il était déjà arrivé aux trois quarts de la muraille lorsque tout à coup la corde cassa. Grimaud tomba précipité dans le fossé.

Le duc jeta un cri, mais Grimaud ne poussa pas une plainte, et cependant il devait être blessé grièvement, car il restait étendu à l’endroit où il était tombé.

Aussitôt un des hommes qui attendaient se laissa glisser dans le fossé, attacha sous les épaules de Grimaud l’extrémité d’une corde, et les deux autres, qui en tenaient le bout opposé, tirèrent Grimaud à eux.

— Descendez, monseigneur, dit l’homme qui était dans le fossé ; il n’y a qu’une quinzaine de pieds de distance et le gazon est moelleux.

Le duc était déjà à l’œuvre. Sa besogne à lui était plus difficile, car il n’avait plus le bâton pour se soutenir ; il fallait qu’il descendît à la force des poignets, et cela d’une hauteur d’une cinquantaine de pieds. Mais, nous l’avons dit, le duc était adroit, vigoureux et plein de sang-froid ; en moins de cinq minutes il se trouva à l’extrémité de la corde ; comme le lui avait dit le gentilhomme, il n’était plus qu’à quinze pieds de terre. Il lâcha l’appui qui le soutenait et tomba sur ses pieds sans se faire aucun mal. Aussitôt il se mit à gravir le talus du fossé, au haut duquel il trouva Rochefort. Les deux autres gentilshommes lui étaient inconnus. Grimaud évanoui, était attaché sur un cheval.

— Messieurs, dit le prince, je vous remercierai plus tard ; mais à cette heure, il n’y a pas un instant à perdre, en route donc, en route ! qui m’aime me suive !

Et il s’élança sur son cheval, partit au grand galop, respirant à pleine poitrine, et criant avec une expression de joie impossible à rendre :

— Libre !… libre !… libre !…