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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/213

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pistoles.

— Oh ! dit Porthos, je suis au-dessus de cela.

— Repartons donc alors, et au galop !

— Oui, si nous pouvons.

En effet, le cheval de d’Artagnan refusa d’aller plus loin, il ne respirait plus ; un dernier coup d’éperon, au lieu de le faire avancer, le fit tomber.

— Ah ! diable ! dit Porthos, voilà Vulcain fourbu !

— Mordieu ! s’écria d’Artagnan en saisissant ses cheveux à pleine poignée, il faut donc s’arrêter ! Donnez-moi votre cheval, Porthos… Eh bien ! mais, que diable faites-vous ?

— Eh ! pardieu ! je tombe, dit Porthos, ou plutôt c’est Bayard qui s’abat.

D’Artagnan voulut le faire relever pendant que Porthos se tirait comme il pouvait des étriers, mais il s’aperçut que le sang lui sortait par les naseaux.

— Et de trois ! dit-il. Maintenant tout est fini !

En ce moment un hennissement se fit entendre.

— Chut ! dit d’Artagnan.

— Qu’y a-t-il ?

— J’entends un cheval.

— C’est celui de quelqu’un de nos compagnons qui nous rejoignent.

— Non, dit d’Artagnan, c’est en avant.

— Alors, c’est autre chose dit Porthos ; et il écouta à son tour en tendant l’oreille du côté qu’avait indiqué d’Artagnan.

— Monsieur, dit Mousqueton, qui, après avoir abandonné son cheval sur la grande route, venait de rejoindre son maître à pied ; monsieur, Phébus n’a pu résister, et…

— Silence donc ! dit Porthos.

En effet, en ce moment un second hennissement passait emporté par la brise de la nuit.

— C’est à cinq cents pas d’ici, en avant de nous, dit d’Artagnan.

— En effet, monsieur, dit Mousqueton, et à cinq cents pas de nous il y a une petite maison de chasse.

— Mousqueton, tes pistolets, dit d’Artagnan.

— Je les ai à la main, monsieur.

— Porthos, prenez les vôtres dans vos fontes.

— Je les tiens.

— Bien ! dit d’Artagnan en s’emparant à son tour des siens ; maintenant vous comprenez, Porthos ?

— Pas trop.

— Nous courons pour le service du roi.

— Eh bien ?

— Pour le service du roi nous requérons ces chevaux.

— C’est cela, dit Porthos.

— Alors, pas un mot, et à l’œuvre !

Tous trois s’avancèrent dans la nuit, silencieux comme des fantômes. À un détour de la route, ils virent briller une lumière au milieu des arbres.

— Voilà la maison, dit d’Artagnan tout bas. Laissez-moi faire, Porthos, et faites comme je ferai.

Ils se glissèrent d’arbre en arbre, et arrivèrent jusqu’à vingt pas de la maison sans avoir été vus. Parvenus à cette distance, ils aperçurent, à la faveur d’une lanterne suspendue sous un hangar, quatre chevaux de belle mine. Un valet les pansait. Près d’eux étaient les selles et les brides.

D’Artagnan s’approcha vivement, faisant signe à ses deux compagnons de se tenir quelques pas en arrière.

— J’achète ces chevaux, dit-il au valet.

Celui-ci se retourna étonné, mais sans rien dire.

— N’as-tu pas entendu, drôle ? reprit d’Artagnan.

— Si fait, dit celui-ci.

— Pourquoi ne réponds-tu pas ?

— Parce que ces chevaux ne sont pas à vendre.

— Je les prends alors, dit d’Artagnan.

Et il mit la main sur celui qui était à sa portée. Ses deux compagnons apparurent au même moment et en firent autant.