Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/220

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vous refuser votre première demande. Écartez-vous, messieurs, dit-il aux hommes de son escorte. MM. d’Artagnan et du Vallon, vous êtes libres.

L’ordre fut aussitôt exécuté, et d’Artagnan et Porthos se trouvèrent former le centre d’un vaste cercle.

— Maintenant, d’Herblay, dit Athos, descendez de cheval et venez.

Aramis mit pied à terre et s’approcha de Porthos, tandis qu’Athos s’approchait de d’Artagnan. Tous quatre alors se trouvèrent réunis.

— Amis, dit Athos, regrettez-vous encore de ne pas avoir versé notre sang ?

— Non, dit d’Artagnan, je regrette de nous voir les uns contre les autres, nous qui avions toujours été si bien unis ; je regrette de nous rencontrer dans deux camps opposés. Ah ! rien ne nous réussira plus.

— Oh ! mon Dieu ! non, c’est fini, dit Porthos.

— Eh bien ! soyez des nôtres alors, dit Aramis.

— Silence, d’Herblay ! dit Athos, on ne fait point de ces propositions-là à des hommes comme ces messieurs. S’ils sont entrés dans le parti de Mazarin, c’est que leur conscience les a poussés de ce côté, comme la nôtre nous a poussés du côté des princes.

— En attendant, nous voilà ennemis, dit Porthos. Sangbleu ! qui aurait jamais cru cela !

D’Artagnan ne dit rien, mais poussa un soupir.

Athos les regarda et prit leurs mains dans les siennes.

— Messieurs, dit-il, cette affaire est grave, et mon cœur souffre comme si vous l’aviez percé d’outre en outre. Oui, nous sommes séparés, voilà la grande, voilà la triste vérité, mais nous ne nous sommes pas déclaré la guerre encore ; peut-être avons-nous nos conditions à faire ; un entretien suprême est indispensable.

— Quant à moi, je le réclame, dit Aramis.

— Je l’accepte, dit d’Artagnan avec fierté.

Porthos inclina la tête en signe d’assentiment.

— Prenons donc un lieu de rendez-vous, continua Athos, à la portée de nous tous, et dans une dernière entrevue réglons définitivement notre position réciproque et la conduite que nous devons tenir les uns vis-à-vis des autres.

— Bien ! dirent les trois autres.

— Vous êtes donc de mon avis ? demanda Athos.

— Entièrement.

— Eh bien ! le lieu ?

— La place Royale vous convient-elle ? demanda d’Artagnan.

— À Paris ?

— Oui.

Athos et Aramis se regardèrent. Aramis fit un signe de tête approbatif.

— La place Royale, soit ! dit Athos.

— Et quand cela ?

— Demain soir, si vous voulez.

— Serez-vous de retour ?

— Oui.

— À quelle heure ?

— À dix heures de la nuit, cela vous convient-il ?

— À merveille.

— De là, dit Athos, sortira la paix ou la guerre, mais notre honneur du moins, amis, sera sauf.

— Hélas ! murmura d’Artagnan, notre honneur de soldat est perdu, à nous.

— D’Artagnan, dit gravement Athos, je vous jure que vous me faites mal de penser à ceci quand je ne pense, moi, qu’à une chose, c’est que nous avons croisé l’épée l’un contre l’autre. Oui, continua-t-il en secouant douloureusement la tête, oui, vous l’avez dit, le malheur est sur nous ; venez, Aramis.

— Et nous, Porthos, dit d’Artagnan, retournons porter notre honte au cardinal.

— Et dites-lui surtout, cria une voix, que je ne suis pas trop vieux pour être un homme d’action.

D’Artagnan reconnut la voix de Rochefort.

— Puis-je quelque chose pour vous, messieurs ? dit le prince.

— Rendre témoi-