Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/244

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qui venait rejoindre Raoul pour voir s’il n’avait besoin de rien, et votre jeune maître n’a pas d’appétit.

— Monsieur en avait encore il y a trois jours, de l’appétit ; mais que voulez-vous, il l’a perdu depuis avant-hier.

Et Olivain et l’hôte s’acheminèrent vers l’auberge, Olivain, selon la coutume des laquais heureux de leur condition, racontant au tavernier tout ce qu’il crut pouvoir dire sur le compte du jeune gentilhomme.

Cependant Raoul écrivait :

« Monsieur,

« Après quatre heures de marche je m’arrête pour vous écrire, car vous me faites faute à chaque instant, et je suis toujours prêt à tourner la tête, comme pour répondre lorsque vous me parliez. J’ai été si étourdi de votre départ, et si affecté du chagrin de notre séparation, que je ne vous ai que bien faiblement exprimé tout ce que je ressentais de tendresse et de reconnaissance pour vous. Vous m’excuserez, monsieur, car votre cœur est si généreux que vous avez compris tout ce qui se passait dans le mien. Écrivez-moi, monsieur, je vous en prie, car vos conseils sont une partie de mon existence ; et puis, si j’ose vous le dire, je suis inquiet ; il m’a semblé que vous vous prépariez vous-même à quelque expédition périlleuse, sur laquelle je n’ai point osé vous interroger, car vous ne m’en avez rien dit. J’ai donc, vous le voyez, grand besoin d’avoir de vos nouvelles. Depuis que je ne vous ai plus là, près de moi, j’ai peur à tout moment de manquer. Vous me souteniez puissamment, monsieur, et aujourd’hui, je vous le jure, je me trouve bien seul.

« Aurez-vous l’obligeance, monsieur, si vous recevez des nouvelles de Blois, de me toucher quelques mots de ma petite amie Mlle de La Vallière, dont, vous le savez, la santé, lors de notre départ, pouvait donner quelque inquiétude ? Vous comprenez, monsieur et cher protecteur, combien les souvenirs du temps que j’ai passé près de vous me sont précieux et indispensables. J’espère que parfois vous penserez aussi à moi, et si je vous manque à de certaines heures, si vous ressentez comme un petit regret de mon absence, je serai comblé de joie en apprenant que vous avez senti mon affection et mon dévoûment pour vous, et que j’ai su vous les faire comprendre pendant que j’avais le bonheur de vivre auprès de vous. »

Cette lettre achevée, Raoul se sentit plus calme, il regarda bien si Olivain et l’hôte ne le guettaient pas, et il déposa un baiser sur ce papier, muette et touchante caresse que le cœur d’Athos était capable de deviner en ouvrant la lettre.

Pendant ce temps, Olivain avait bu sa bouteille et mangé son pâté ; les chevaux aussi s’étaient rafraîchis. Raoul fit signe à l’hôte de venir, jeta un écu sur la table, remonta à cheval, et à Senlis jeta la lettre à la poste.

Le repos qu’avaient pris cavaliers et chevaux leur permettait de continuer leur route sans s’arrêter. À Verberie, Raoul ordonna à Olivain de s’informer de ce jeune gentilhomme qui les précédait ; on l’avait vu passer il n’y avait pas trois quarts d’heure, mais il était bien monté, comme l’avait déjà dit le tavernier, et allait bon train.

— Tâchons de rattraper ce gentilhomme, dit Raoul à Olivain, il va comme nous à l’armée et ce nous sera une compagnie agréable.